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Ibrahima Thiam, président de l’ARREC : « Nous avons un déficit de production sur le plan régional »

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« Nous avons un déficit de production sur le plan régional »

  • Devant les difficultés que connaît le secteur de l’électricité un peu partout, les Etats membres de la CEDEAO n’ont d’autres choix que de mettre en commun leurs moyens de production pour un partage optimal de la ressource
  • La mise en place d’un cadre institutionnel permet de développer l’interconnexion des Etats-membres
  • Aujourd’hui, il existe une expérience réussie dans le domaine grâce au moins à trois interconnexions impliquant une dizaine de pays et des projets sont en cours

Ibrahima Thiam, Président ARREC

AFRIMAG : Près de sept ans après la mise en place d’un cadre institutionnel et de régulation de ces échanges, quel bilan peut-on dresser ?

Ibrahima Thiam : Effectivement, face aux difficultés du secteur de l’électricité, les pays membres de la CEDEAO ont convenu de la mise en commun et du partage optimal des ressources énergétiques dans la région à travers un marché régional de l’électricité. Le Protocole de l’Energie de la CEDEAO est la formulation d’une stratégie pour réaliser cette vision d’un marché régional de l’électricité en mettant en place le cadre juridique destiné à promouvoir la coopération à long terme dans le secteur de l’énergie de la CEDEAO. Pour mettre en œuvre cette stratégie il y a eu une série de décisions qui ont été prises dans le temps par les instances de la CEDEAO. Il s’agit en premier, de la décision de la conférence des chefs d’Etat et de gouvernement portant développement d’un cadre réglementaire régional pour le secteur de l’électricité au sein de la CEDEAO.

En second lieu, je citerai la mise en place du Secrétariat général du Système d’échanges d’énergie électrique ouest-africain (EEEOA) comme une institution spécialisée chargée de mettre en œuvre des projets prioritaires identifiés pour le développement d’un pool énergétique.

En troisième lieu, il faut noter la création de l’Autorité de régulation régionale du secteur de l’électricité de la CEDEAO (ARREC) chargée de réguler les échanges transfrontaliers d’énergie électrique entre les États membres, et fournir un soutien adéquat aux régulateurs nationaux du secteur de l’électricité .

Mais concrètement quel est le bilan, au-delà de la mise en place du cadre institutionnel ?

Vous avez bien raison de vous demander quel est le bilan, près de sept ans après la mise en place de ce cadre institutionnel et de régulation. Certes, l’objectif ultime visé par le marché régional de l’électricité n’est pas encore en place, mais un travail remarquable est en cours sur le plan du développement et de l’exploitation des infrastructures électriques par l’EEEOA. Je peux citer entre autres l’organisation de la région en plusieurs zones de réglage du réseau interconnecté, l’élaboration d’un manuel d’exploitation du réseau régional, le design du marché, l’élaboration des règles du marché régional et le travail d’harmonisation des cadres juridiques.

Pour améliorer la gouvernance du secteur et faciliter en conséquence le développement du marché régional de l’électricité, à la suite des études de régulation menées par l’ARREC depuis 2012, le Conseil des ministres de la CEDEAO a adopté en juin 2013, une Directive sur l’organisation du marché régional. L’objectif principal de cette Directive est de définir les principes généraux qui régissent le marché régional de l’électricité et disposer des principes de convergence pour les pays membres de la CEDEAO.

L’ARREC et l’EEEOA en concertation avec les parties prenantes des pays membres œuvrent à concrétiser dans un délai de deux ans cette Directive.

Comment se présente aujourd’hui la production d’électricité ? Quels sont les pays qui affichent les plus importants déficits de production ?

La production d’électricité reste un enjeu majeur pour la région et plus spécifiquement la production d’électricité à des coûts abordables. La marge de réserve de production disponible (le % de capacité encore disponible après avoir satisfait la demande maximale) est négative pour la région, ce qui se traduit par des situations de délestage dans certains pays. Même les pays exportateurs nets d’électricité, excepté la Côte d’Ivoire ont une marge de réserve disponible quasi nulle, voire négative. Cela veut dire qu’il y a toujours un déficit de production sur le plan régional. Du point de vue de la régulation régionale et vu l’objectif affiché par la CEDEAO pour la mise en commun des moyens de production, il n’est pas pertinent d’identifier les pays ayant les plus importants déficits de production installée mais il nous importe d’identifier les pays ayant une marge de réserve disponible négative en dépit de leur accord d’importation ou d’exportation à long terme. De ce point de vue, la situation nécessite une amélioration sur le plan régional pour permettre un marché dynamique et véritablement fonctionnel.

Quels sont les programmes adoptés ou l’approche la plus innovante mise en place par ces pays pour résoudre ce problème ?

Face au déficit de fourniture d’électricité, beaucoup de pays ont initié des programmes d’urgence qui consistent à signer des contrats de concession et/ou de location avec des producteurs indépendants. Mais les coûts de production onéreux de ces solutions d’urgence limitent leur impact à long terme. La seule approche durable, c’est le marché régional de l’électricité. Grace aux projets d’interconnexion régionale et de production régionale en cours ou en projet, chaque pays interconnecté pourra, au moyen d’accords d’importation améliorer sa marge de réserve disponible de façon pérenne. Nous pouvons à ce titre citer les développements récents dans le cadre du Projet CLSG (Côte d’Ivoire, Libéria, Sierra Leone et Guinée) en cours de mise œuvre pour interconnecter ces quatre pays avec 1411 km de lignes de transport 225 kV. Ensuite, le Projet OMVG (Organisation pour la Mise en Valeur du Fleuve Gambie) qui prévoit l’interconnexion en 225 kV de la Gambie, la Guinée, la Guinée Bissau  et le Sénégal avec la réalisation des centrales hydroélectriques de Kaléta (240 MW) et de Sambagalou (128 MW) en Guinée. Enfin, il faut ajouter la production d’électricité à partir du gaz mauritanien dans le cadre de l’OMVS (Organisation pour la Mise en Valeur du Fleuve Sénégal), organisation regroupant la Mauritanie, le Sénégal, le Mali et la Guinée.

Beaucoup de pays ouest-africains affichent d’importants déficits en matière de production d’électricité. Que fait l’ARREC pour les accompagner à surmonter cette problématique et en en trouvant des solutions pérennes ?

Est-il besoin encore de démontrer que les solutions pérennes aux importants déficits des pays en matière de la production d’électricité passent par la mise en place effective du marché régional de l’électricité avec tout ce que cela implique en terme de développement des infrastructures de production et de transport régionaux et d’organisation du cadre réglementaire et institutionnel des Etats membres. Après avoir contribué à l’élaboration et l’adoption de la Directive sur l’organisation du marché régional, l’ARREC a prévu un programme d’harmonisation des règles et des institutions du secteur de l’électricité de la CEDEAO. D’abord ce programme cherche à mettre en place un environnement réglementaire et économique favorable au développement du marché régional.

Ensuite, il devra rendre la structure des marchés nationaux compatible avec le fonctionnement du marché régional, qui sera ouvert et concurrentiel.

Puis, ce programme permettra de réaliser une harmonisation institutionnelle de la structure des marchés nationaux qui doivent au minimum assurer l’accès des tiers au réseau national et régional.

Enfin, nous entendons réaliser trois autres objectifs. Il s’agit d’harmoniser les règles de fonctionnement et les pratiques au niveau des régulateurs nationaux, de créer et installer les organes de régulation dans les Etats où il n’en existe pas et de renforcer les capacités des régulateurs nationaux.

En matière d’interconnexion, quels sont les pays qui présentent l’expérience la plus réussie dans la sous-région ouest-africaine ?

Il existe déjà quelques interconnections entre différents Etats membres de la CEDEAO que l’on peut présenter comme des expériences réussies parce qu’elles ont permis à des pays qui ne pouvaient absolument pas résoudre autrement leurs problèmes de déficit de production à moindre coût.

La première expérience concerne l’interconnexion entre six pays de la sous-région à savoir le Mali, la Côte d’Ivoire, le Burkina Faso, le Ghana, le Togo et le Bénin. Nous avons également comme exemple de collaboration réussie dans le domaine, l’échange existant entre le Togo, le Bénin, le Nigeria et le Niger.

De même au niveau de l’Organisation de la Mise en Valeur du Fleuve Sénégal (OMVS)  qui est un système électrique commun, le barrage hydroélectrique et la ligne de transport interconnectent les trois Etats membres (Mali, Mauritanie, Sénégal) et qui sert essentiellement à partager le productible de la centrale hydroélectrique.

Dans votre rôle de régulateur vous êtes sans doute amenés à intervenir dans la fixation des tarifs d’interconnexion, mais aussi des problèmes pouvant survenir dans les relations entre opérateurs…

En effet, l’ARREC est chargée d’assurer l’élaboration des règles tarifaires relatives à l’accès et à l’utilisation des réseaux de transport régional d’électricité et elle veille à leur respect. Elle est par ailleurs chargée d’établir et de mettre en œuvre des procédures efficaces de règlement des différends entre les acteurs du marché régional.

C’est pourquoi dans le cadre de sa mission générale de veiller au bon fonctionnement du marché régional, elle dispose d’importants pouvoirs. Il nous est possible d’initier des enquêtes, de faire réaliser des audits, de prendre toute mesure d’injonction ou toute mesure conservatoire ou de sauvegarde, et de sanctionner les manquements et violations des règles régissant les échanges transfrontaliers énergie. De même, nous sommes investis du pouvoir de résoudre les différends entre les acteurs publics ou privés dès lors que le litige qui lui est soumis porte sur des faits ou comportements affectant l’organisation ou le fonctionnement des échanges transfrontaliers d’électricité.

De quels pouvoirs (sanctions, amendes, etc.) êtes-vous investis ? Et Avez-vous déjà été amenés à en user ? 

En cas de refus de se conformer aux injonctions écrites dument notifiées à la partie en cause, l’ARREC peut condamner au paiement d’une amende, et/ou ordonner la suspension ou le retrait de l’autorisation d’opérer ou de la licence d’exploitation.

Toutefois, ces décisions de l’ARREC sont susceptibles de recours en légalité devant la cour de justice de la CEDEAO qui agit en tant que juridiction de recours.

A ce jour et en l’état actuel de développement du marché régional, l’ARREC n’a pas encore eu de différends portés devant elle et elle n’a prononcé aucune sanction.

 Ibrahim Thiam : Bio-express

  • 1981 : Diplômé de l’École Centrale de Lyon
  • 1982-1996 : Senelec (Société nationale d’électricité du Sénégal)
  • 1996-2000 : Commission UEMOA
  • 2000-2001 : ASER (Agence sénégalaise d’électrification rurale)
  • 2001-2009 : CRSE (Commission de régulation du secteur de l’électricité)
  • Depuis 2009 : Président ARREC (l’Autorité de régulation régionale du secteur de l’électricité de la CEDEAO)
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