- Investissement et Croissance inclusive. Quels enjeux pour l’Afrique ?
- Relancer la production agricole
- Industrie extractive : Nécessité d’une valeur ajoutée
- Investissements dans les infrastructures, un pilier de la croissance inclusive
- La réduction des inégalités : La preuve par le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire et le Togo
L’Afrique est aujourd’hui le continent dont la croissance est la deuxième plus rapide au monde. En dépit d’une décennie de changements économiques de grande importance, le continent a continué de multiplier sa richesse, faisant ainsi un pied de nez aux pessimistes. Cependant, la crise de l’emploi, en particulier chez les jeunes, est venue troubler cette conjoncture enviée et creuser les inégalités. Il apparaît donc clair que la croissance économique n’a pas été assez importante pour endiguer la pauvreté et les inégalités. D’où l’urgence de promouvoir une croissance qualitative et inclusive.
Dossier réalisé Par Mohamed Ould Salem
«Si vous regardez bien aujourd’hui, l’Afrique connaît une forte croissance économique, mais, malheureusement, elle n’est pas inclusive. On constate qu’il y a beaucoup d’inégalités entre nos pays. Autre point : il y a un exode des zones rurales vers les zones urbaines, une forte volonté d’émigrer vers l’Europe et d’autres zones du monde. Cela veut dire que le problème majeur reste le chômage, surtout des jeunes et des femmes. La croissance est en réalité très fragile pour de nombreux pays africains et cela donne des résultats tout aussi fragiles. Aujourd’hui, la BAD compte 29 pays dits fragiles, soit 53 % du continent. Ma vision est de bâtir une Afrique avec une croissance inclusive et une prospérité partagée par tous ». Dixit Akinwumi Adesina, président de la Banque africaine de développement (BAD), quelques jours après sa nomination à la tête de l’institution panafricaine en 2015.
Il faut dire que le patron de la BAD n’a dit que ce que les populations africaines affirment tout haut avec beaucoup d’humour. En effet, en réponse à l’embellie que mettent en avant autorités nationales et institutions internationales sur le dynamisme des pays africains en matière de croissance au niveau mondial, les Africains répondent que « la croissance ne se mange pas !». De l’humour pour dire que les fruits de la croissance tant claironnée ne leur profitent pas.
Dit autrement, aussi impressionnante soit-il, cette croissance ne peut pas être célébrée alors même que les peuples d’Afrique n’en tirent pas profit pleinement. Sur le terrain, elle ne se reflète pas en termes de développement humain et matériel. Beaucoup de pays qui ont atteint un relèvement de leur PIB, une augmentation des volumes des échanges et des investissements étrangers au cours de la dernière décennie n’ont pas bénéficié de la baisse de la pauvreté et du chômage. De même cette multiplication de la création de richesse n’a pas impacté positivement les besoins essentiels tels que la nourriture, l’eau potable, le logement, la santé, l’éducation… pour la majorité des populations. Les progrès réalisés en termes de performance macroéconomique sont compromis par un manque d’«inclusion» dans le modèle de croissance. «Trop peu d’Africains bénéficient de la croissance enregistrée au niveau continental, et l’énorme richesse en ressources de l’Afrique (ainsi que les avantages qu’elle draine) reste entre les mains de quelques élites et des investisseurs étrangers. Les populations rurales restent piégées dans la pauvreté, la précarité et l’isolement, et dans les villes la «fracture urbaine» croissante laisse de nombreux citadins exclus des avantages de la modernisation et de la vie en ville, sans emplois et sans revenus», indique la BAD dans son rapport annuel des Perspectives économiques en Afrique.
Autre aspect inquiétant des taux de croissance actuels élevés et appréciés par de nombreux pays africains, son origine est en rapport à son aspect soutenabilité (durable). Car, une grande partie de cette embellie provient de l’agriculture de base et des industries extractives. La conjoncture favorable a été donc en grande partie le résultat d’un long boom des produits de base qui n’est certainement pas auto-entretenue et durable. «L’extraction des ressources agricoles et minérales sans valeur ajoutée nationale ainsi que le manque de bonne gouvernance et de responsabilité pourraient bloquer la voie à la transformation économique significative et suffisante pour stimuler une croissance durable. Celle-ci n’a généralement pas été soutenue par une stratégie d’industrialisation à long terme et la base manufacturière est très faible en Afrique, à l’exception d’un petit groupe de pays tels que l’Afrique du Sud, la Tunisie, le Maroc et l’Egypte», souligne la BAD.
La voie à suivre !
Il faut dire que l’Afrique demeure marginalisée dans le secteur manufacturier mondial. « La perspective d’une croissance durable fondée sur les ressources naturelles et des activités manufacturières de faible technologie axées sur l’exportation est encore entravée par le manque d’infrastructures et un appui institutionnel insuffisant pour l’industrialisation ; ce qui pourrait faire obstacle aux pays africains à se positionner pour prendre en charge l’extrémité inférieure de la fabrication mondiale de la Chine et d’autres pays d’Asie orientale dans la décennie à venir. Les pays africains ont désespérément besoin d’une autre voie de croissance pour relever les défis à la fois d’inclusion et de durabilité, analyse la BAD. Alors, quelle voie pour arriver à cette croissance inclusive ?
Pour les experts de la BAD, pour atteindre une croissance inclusive, les dirigeants africains et les décideurs doivent mettre en place des politiques et des institutions, soutenues par la bonne gouvernance, garantissant que les résultats élevés de croissance économique aboutissent à un plus large accès aux opportunités socio-économiques durables pour un plus grand nombre de populations, en protégeant les groupes les plus vulnérables de la société. Un engagement à réduire les inégalités est nécessaire et il faudrait trouver le moyen de s’attaquer aux disparités sociales liées à la richesse, au sexe et au clivage rural-urbain ainsi que de faciliter la mobilité économique et sociale en fonction de la croissance. En ce qui concerne la génération d’une croissance durable, il est nécessaire d’avoir un changement structurel permanent dans les économies africaines, qui met davantage l’accent sur l’investissement, la valeur ajoutée dans les exportations à travers l’agro-industrie et la manufacture et, permet ainsi d’éviter le type de croissance instable et non durable découlant de la volatilité de la demande et du prix des matières premières. « Cela implique la nécessité d’une politique industrielle visant à soutenir la manufacture et favoriser la transformation structurelle durable de l’économie », insistent les experts. C’est dire qu’aujourd’hui, des politiques pour réduire les inégalités et promouvoir l’inclusion dans le processus de croissance sont plus que jamais nécessaires si l’Afrique et ses habitants veulent réaliser leur plein potentiel de développement et devenir un pôle de croissance mondiale dans les décennies à venir.