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Commerce de l’or industriel africain : Les non-dits d’un business

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Article du dossier Commerce de l'or africain

Nombre de raffineries se cachent derrière le secret des affaires quand elles sont interrogées sur l’origine de l’or qu’elles traitent. C’était sans compter sur la détermination de Swissaid qui, dans un rapport, met au jour plus de 140 relations d’affaires entre des mines d’or industrielles africaines et des raffineries. Un travail documentaire minutieux mais aussi un plaidoyer pour plus de transparence. Les détails. 

DOSSIER réalisé par Miché Daré & James Ramarosaona

 « Auprès de quelles mines vous approvisionnez-vous ?» Cette question, des ONG soucieuses de retracer le parcours de l’or et d’améliorer la responsabilité des acteurs du secteur la posent de longue date aux raffineries. Sans grand succès. La plupart bottent en touche prétextant que la confidentialité, la concurrence ou des aspects de sécurité les empêchent de répondre. Dans son nouveau rapport : «De l’ombre à la lumière. Les relations d’affaires entre les mines d’or industrielles en Afrique et les raffineries», Swissaid brise une partie du secret. S’appuyant sur des rapports de compagnies minières, de gouvernements, des statistiques douanières et des bases de données payantes, l’étude de près de 70 pages met au jour 142 relations d’affaires entre 116 mines d’or industrielles africaines et seize raffineries à travers le monde, le tout entre 2015 et 2023. Et les montants en jeu sont conséquents : en 2020, ces relations ont porté sur plus de 450 tonnes d’or d’une valeur supérieure à 23 milliards de francs suisses.

Ce travail de récolte de données accompli, les auteurs n’en sont pas restés là. Ils ont redoublé d’effort et contacté une à une chacune des raffineries, -dont cinq se trouvent en Suisse-, ainsi que 32 compagnies minières pour les confronter à ces informations. Bilan : si la plupart des raffineries ont refusé de divulguer les noms de leurs fournisseurs, les compagnies minières ont, elles, été nettement plus enclines à la transparence. «Ce rapport met certes en lumière les différentes pratiques de transparence des raffineries, mais il prouve surtout que la culture du secret entretenue par certaines raffineries n’a pas lieu d’être», résume Yvan Schulz, coauteur de l’étude.

Rand Refinery se veut transparente

Deux tiers du total des relations d’affaires identifiées (96 relations) concernent quatre raffineries seulement : Rand Refinery (49 relations d’affaires identifiées), Metalor (26) et deux raffineries du groupe Mks Pamp (21).

Praveen Baijnath Directeur general de Rand Refinery

Praveen Baijnath, Directeur général de Rand Refinery

Fondée en 1920, Rand Refinery est basée en Afrique du Sud. Cette raffinerie est détenue par les principales compagnies minières sud-africaines  spécialisées dans l’or : AngloGold Ashanti (42,41%), Sibanye Gold (33,15%), DrdGold (11,3%), Harmony Gold Mining (10%) et Gold Fields Operations (2,76%). La raffinerie a une capacité annuelle de 450 à 600 tonnes d’or. Contactée par Swissaid, Rand Refinery s’est montrée ouverte, selon les auteurs du rapport. «Elle a répondu à un questionnaire détaillé et à plusieurs questions d’approfondissement envoyées par e-mail. Plusieurs échanges ont eu lieu par visioconférence avec des représentants de la raffinerie. Swissaid a aussi pu s’entretenir informellement avec son Directeur général, Praveen Baijnath», relèvent-ils.

Au cours des dernières années, Rand Refinery était l’une des rares raffineries à rendre publiques les quantités d’or qu’elle traitait. Elle a indiqué à Swissaid avoir raffiné 291 tonnes d’or d’une pureté moyenne de 75 % durant l’année fiscale septembre 2020- août 2021. L’or traité au cours de la période sous revue par la raffinerie de Rand Refinery provient à hauteur de 96 à 99,6% de mines industrielles situées dans quatorze pays africains, dont l’Afrique du Sud, le Ghana, la Tanzanie, la Namibie et la RD Congo. Invitée à confirmer ses relations d’affaires avec des mines industrielles en Afrique, Rand Refinery a refusé tant que Swissaid ne signait pas un accord de non-divulgation. Dans sa réponse à l’ONG, la raffinerie a expliqué : «Nous sommes liés par la confidentialité dans nos accords de raffinage. Par conséquent, nous avons besoin d’un accord de non-divulgation signé pour révéler ces informations». Ce que Swissaid a refusé de signer car, dit-elle, cela irait à l’encontre de l’objectif principal de son étude, qui consiste à promouvoir la transparence. La raffinerie a toutefois fait une exception concernant le Zimbabwe, en indiquant avoir cessé d’importer de l’or de ce pays, en particulier de Fidelity Gold Refinery (FGR), en 2020. Selon la législation du Zimbabwe, l’ensemble de l’or extrait dans ce pays doit passer par FGR avant d’être exporté.

Trois pays dominent l’activité du raffinage

Basé en Suisse, Metalor traite de l’or provenant de 10 pays africains, notamment le Burkina Faso, le Niger, la Guinée, le Gabon, la Côte d’Ivoire, le Mali, le Maroc, le Sénégal, le Ghana et le Nigeria. Basé à Genève, le groupe Mks Pamp dispose de deux raffineries, implantées en Suisse et en Inde, qui traitent de l’or provenant de sept pays du continent, dont la Tanzanie, la Mauritanie, le Liberia et le Burkina Faso.

Le rapport, qui s’intéresse uniquement à l’or industriel et ne couvre pas les approvisionnements des raffineries en or artisanal et en or recyclé provenant du continent africain, précise que 79% des relations d’affaires identifiées par l’enquête menée par Swissaid impliquent des raffineries basées en Suisse, en Afrique du Sud et, dans une moindre mesure, en Inde. Cela suggère que l’or industriel africain est raffiné principalement dans ces trois pays.

Selon le rapport, deux pays africains seulement disposent de raffineries opérationnelles, en l’occurrence l’Afrique du Sud (Rand Refinery) et le Zimbabwe (Fidelity Gold Refinery) ; pour le reste, ce processus a surtout lieu à l’étranger. Cela pourrait toutefois changer à l’avenir. En Tanzanie, Mwanza Precious Metals Refinery a indiqué à Swissaid avoir pour objectif de traiter non seulement de l’or artisanal mais également de l’or industriel. Dans son rapport annuel 2021, la compagnie minière sud-africaine Gold Fields a indiqué : Cette raffinerie n’a pas encore débuté la production. Des développements intéressants sont également en cours au Ghana. «Nous continuons à discuter avec le gouvernement, par l’intermédiaire de la Chambre des mines du Ghana, des modalités de vente d’une partie de l’or produit au Ghana à une raffinerie locale à des fins de valeur ajoutée».

Coulee de lor

Coulée de l’or

A la question de savoir si cette raffinerie était la Royal Ghana Gold Refinery, Gold Fields a répondu en décembre 2022 aux enquêteurs de Swissaid : «Nous vendons à la Banque du Ghana, pas à une raffinerie. Nous le faisons toujours via Mks Pamp. Il ne s’agit pas d’un arrangement unique avec Gold Fields, mais avec d’autres acteurs du secteur également».

Il est par ailleurs possible que la raffinerie de Khartoum, détenue par la Banque centrale du Soudan, raffine de l’or de certaines mines semi-industrielles soudanaises.

Swissaid indique d’autre part qu’à l’exception d’une raffinerie zimbabwéenne et quelques raffineries émiraties et chinoises impliquées dans un nombre restreint d’approvisionnements provenant de l’Afrique, les 16 raffineries ayant des relations d’affaires identifiées avec des mines d’or industrielles africaines sont certifiées selon le standard de la London Bullion Market Association (LBMA), l’organisation professionnelle qui supervise les marchés de gros de l’or et de l’argent à Londres. Les pratiques de ces raffineries en matière de transparence de leurs relations d’affaires sont pourtant mitigées. Interrogées au sujet de leurs relations d’affaires, six raffineries ont confirmé les noms des mines industrielles africaines auprès desquelles elles s’approvisionnent. C’est le cas de Metalor (26 mines), PX Precinox (1), The Perth Mint (5), Nadir Metal Rafineri (2), Italpreziosi (1) et Emirates Minting (3). D’autres raffineries ont cependant refusé de confirmer leurs relations à moins que Swissaid signe un accord de non-divulgation. Il s’agit de Rand Refinery, Mks Pamp, Mmtc-Pamp, Argor-Heraeus, Asahi Refining Canada et Emirates Gold Dmcc. Certaines raffineries se sont aussi opposées à ce que des compagnies minières divulguent leurs noms. La plupart des raffineries rétives à la divulgation des données demandées se sont réfugiées derrière l’argument de la confidentialité des contrats et des accords de raffinage. En plus de cet argument, Mks Pamp a également invoqué «des raisons de concurrence et de sécurité ». Le rapport note dans ce cadre que l’argument de la concurrence est peu convaincant dans la mesure où une partie des raffineries acceptent de confirmer ce type d’information alors que l’argument de la sécurité est également difficilement compréhensible. D’autant plus que les positions géographiques des sites miniers sont dans le domaine public et que la sécurité du transport n’est aucunement impactée par la révélation de la destination finale de l’or. A l’instar de plusieurs raffineries, certaines compagnies minières ont également refusé de confirmer leurs relations d’affaires bien que des informations à ce sujet figurent déjà dans le domaine public, que leurs concurrentes publient ce type d’information ou encore que les parties avec lesquelles elles sont sous contrat le font.

Swissaid note par ailleurs que des raisons liées aux problèmes dans les mines semblent être prépondérantes dans la volonté de plusieurs raffineries et compagnies minières de garder leurs relations d’affaires confidentielles.

Pour la majorité des mines industrielles couvertes par l’enquête, l’ONG affirme avoir découvert de «graves problèmes, en particulier des violations des droits humains (atteintes à la santé des populations locales, décès des employés de la mine, expropriations des terres, déplacements forcés des populations locales…), des dégradations environnementales (rejet de particules fines, pollution des nappes phréatiques, pollution des terres causée par l’usage de cyanide, d’arsenic et de plomb…) et des accusations de corruption et de fraude fiscale», notant que ces problèmes ont été déjà été identifiés dans des rapports d’organisations de la société civile, des rapports d’organisations internationales, des enquêtes journalistiques et des études scientifiques.

 

Qui est Swissaid ?

Swissaid est une fondation suisse libre de toute appartenance politique ou confessionnelle active dans neuf pays au Sud. Elle plaide pour une exploitation durable des matières premières, une répartition plus équitable des profits qui découlent du commerce de ce type de marchandises et la transparence des affaires dans ce secteur.

swissaid logo background whiteD’une part, parce que la Suisse joue un rôle de premier plan, au niveau mondial, dans le commerce des matières premières, d’autre part, parce que les populations des pays qui détiennent ces ressources n’en bénéficient pas ou trop peu, et souffrent souvent d’une extrême pauvreté. Au travers de ses différents projets, Swissaid soutient des populations défavorisées afin qu’elles puissent améliorer leurs conditions de vie et faire valoir leurs droits.

 

Contrats entre raffineries et compagnies minières

Pour bien comprendre les relations d’affaires entre les compagnies minières et les raffineries, les enquêteurs se sont intéressés aux contrats que ces sociétés concluent entre elles. Comme expliqué par Mks Pamp et Metalor, les raffineries signent généralement un contrat individuel pour chaque mine auprès de laquelle elles s’approvisionnent en or et non pas un contrat général avec un groupe minier pour l’ensemble de ses mines, souligne le rapport.

Exploitation miniere russe a Ndassima en Centrafrique

Exploitation minière russe à Ndassima en Centrafrique

La durée des contrats et les pratiques en matière d’appel d’offres varient d’une compagnie à une autre. A titre d’exemple, la mine d’Essakane au Burkina Faso, exploitée par AMGold, envoie son or à Metalor depuis l’ouverture de la mine en 2010. Questionnée sur la durée de ses contrats, la minière sud-africaine Gold Fields a indiqué avoir «des contrats globaux d’une durée de trois ans» et a précisé aux enquêteurs : «nous révisons l’avenant du contrat chaque année, car les différents coûts (par ex. les transports) peuvent changer rapidement et que nous devons nous y adapter. Après trois ans, nous décidons si nous continuons ou si nous changeons de raffinerie. Par conséquent, nous ne lançons pas toujours un nouvel appel d’offres après trois ans.»

Pour la compagnie minière canadienne Newmont, «la durée des contrats de raffinage est variable, la plupart ayant actuellement une durée de deux à trois ans. Un nouvel appel d’offres est lancé à la fin de la durée du contrat.»

De son côté, la raffinerie Mks Pamp a expliqué que «les contrats sont conclus pour quelques années seulement. Un appel d’offres est généralement refait après quelques années. Notez que l’existence d’un contrat rend possible mais pas obligatoire les livraisons de la mine.» La société genevoise a également indiqué que la raffinerie ne dispose généralement pas de l’exclusivité de la production d’une mine quand elle a un contrat avec la société l’exploitant.

Enfin, il est important de souligner que certaines compagnies minières n’ont pas de contrat avec des raffineries mais avec des sociétés de trading. C’est le cas notamment de Hummingbird Resources pour sa mine de Yanfolila ou de Nguvu Holdings pour sa mine de Tabakoto. Dans une réponse à Swissaid, Hummingbird Resources a précisé aux enquêteurs : «Nous n’avons actuellement aucun contrat avec des raffineurs. Tout le minerai d’or produit par nos mines est acheté par Auramet, qui le raffine ensuite auprès de l’un de ces trois raffineurs [Metalor, Rand Refinery, Argor-Heraeus]».

 

Relations d’affaires non identifiées

Sur l’ensemble des mines d’or industrielles d’Afrique que Swissaid a pu répertorier, rares sont celles où aucune relation d’affaires avec une raffinerie n’a pu être identifiée. Il y en a moins d’une dizaine

et il s’agit de :

  • La mine de Kodiéran, au Mali, exploitée par Faboula Gold (anciennement Wassoul’or). Le rapport Itie Mali 2018 indique que l’or de cette mine a été exporté aux Emirats arabes unis dans le passé. Depuis 2022, l’or de cette mine serait livré à la société allemande Pearl Gold AG. Il y a toutefois plusieurs zones d’ombre autour de cette mine, comme l’explique un article du magazine Bilan.
  • La mine d’Abujar, en Côte d’Ivoire, exploitée par Tietto Minerals, dont la production commerciale a débuté en 2023.
  • La mine de Ndassima en Centrafrique. La société canadienne Axmin disposait du permis d’exploitation de cette mine avant d’en être dépossédée au profit de Midas Ressources. La mine serait aujourd’hui contrôlée par le groupe Wagner et l’or serait exporté vers la Russie, selon le média Jeune Afrique.
  • La mine de Koka (Zara) en Erythrée, codétenue par le groupe chinois Sfeco et la compagnie minière nationale érythréenne Enamco.
  • La mine de Bisha, également en Erythrée, a produit beaucoup d’or entre 2011 et 2013 avant de se tourner majoritairement vers l’extraction de cuivre et de zinc.
  • La mine de Sakaro, en Ethiopie, exploitée par Midroc.
  • La mine de Manica, au Mozambique, exploitée par Mutapa Mining & Processing LDA (MMP) et détenue par Xtract Resources. La première barre d’or de cette mine a été coulée en 2022.
  • Certaines mines semi-industrielles ont également été répertoriées au Soudan. Il s’agit de la mine d’Abu Sari, exploitée par Delgo Mining et du Bloc 30, exploité par Alliance for Mining et Kush E&P.

Mine

Il existe d’autres mines au sujet desquelles d’anciennes relations d’affaires ont été identifiées mais dont le raffineur actuel n’est pas connu. C’est notamment le cas de la mine de Lega Dembi, en Ethiopie. A noter encore que la mine de Kalsaka au Burkina Faso, dont l’exploitation a cessé, ne figure pas dans les tableaux ci-dessus car Metalor a cessé de s’y approvisionner en 2013. Certaines mines de platine et de palladium produisant de très faibles quantités d’or n’ont pas été inclues dans l’étude. Il s’agit par exemple des mines de Amandebult, Mogalakwena et Mototolo, en Afrique du Sud, et de la mine d’Unki, au Zimbabwe, toutes détenues par Anglo American Platinum.

Méthodologie de l’enquête

Ce rapport sur les relations d’affaires entre les mines d’or industrielles africaines et les raffineries d’or est le fruit d’une enquête menée par SWISSAID entre janvier 2021 et février 2023. Le travail de recherche a été réalisé en deux temps : recherche documentaire et collecte de données, puis consultation des acteurs de l’industrie. De nombreuses sources ont été utilisées, dont :

  • Les sites internet et les rapports des compagnies minières, de leurs sociétés mères et des raffineries
  • Les rapports des sections nationales de l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE)
  • Les données des Responsible Sourcing Reports de la LBMA
  • Les rapports de gouvernements, d’organisations internationales et d’organisations de la société civile
  • Les bases de données de Refinitiv Eikon, de Metals Focus, de la U.S. Geological Survey, de Mining Data Solutions et de UN Comtrade
  • Les statistiques douanières nationales de plusieurs pays
  • Et plusieurs bases de données payantes contenant des statistiques douanières détaillées, avec les noms des sociétés impliquées. A cela s’ajoutent les échanges informels que SWISSAID a eus avec de nombreux acteurs de l’industrie.

Après un long travail de collecte et d’analyse des données, SWISSAID a contacté 17 raffineries et 32 compagnies minières5 pour les confronter aux informations découvertes et leur demander des renseignements supplémentaires. De nombreux entretiens ont également eu lieu en personne ou en ligne avec plusieurs sociétés. Avant la publication du rapport, SWISSAID a envoyé à toutes les raffineries mentionnées les passages où leur nom apparaît pour leur permettre de réagir. Certaines prises de position comprenant des éléments nouveaux ont été reproduites dans la version finale du rapport. Ce rapport traite uniquement de l’or industriel et ne couvre pas les approvisionnements des raffineries en or artisanal et en or recyclé provenant du continent africain. Il porte sur les relations d’affaires attestées pendant tout ou partie des années 2015 à 2023.

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