Guerre commerciale : « Aucun pays ne sortira indemne» de la folie de Trump ». Certes, les pays africains exportateurs de matières premières ne sont pas très exposés au protectionnisme que prône Donald Trump, mais ils doivent se montrer prévenants face aux effets collatéraux d’une éventuelle guerre commerciale entre grandes puissances.
Uri Dadush, Senior fellow OCP Policy Center estime, lors d’une conférence à l’Ecole de Gouvernance et d’Economie à Rabat, que les pays africains doivent engager des réformes, tout en mettant l’accent sur la diplomatie politique et économique.
AFRIMAG : Le monde est à l’orée d’une guerre commerciale que voudrait déclencher le président Trump. Si elle devait avoir lieu qu’elles en seraient les conséquences sur les économies émergentes, particulièrement celles d’Afrique ?
Une récession dans les pays riches et industrialisés aura beaucoup d’effets induits négatifs, sur le tourisme, les transferts des migrants, et même sur l’aide publique au développement.
Vous êtes optimiste sur la conjoncture économique mondiale pour 2018 et 2019, particulièrement pour les économies en développement aux fondamentaux solides comme le Maroc. Mais au-delà, c’est-à-dire à partir de 2020 un retournement de tendance est possible. Quelles réformes conseilleriez-vous aux pays en développement pour se prémunir ?
Je pense que pour faire face au scénario d’un possible retournement de tendance, les pays en développement devraient adopter au moins trois démarches de politique économique pour éviter d’être pris au dépourvu. D’abord, il s’agit de s’assurer d’un fonds de réserves – c’est-à-dire une politique fiscale prudente et un taux de change réaliste de façon à limiter les déficits de la balance extérieure. Ceci demande de la volonté politique. Mettre également des lignes de crédits suffisantes en place en cas de besoin. Ensuite, les pays en développement ont intérêt à accélérer les négociations d’accords commerciaux avec des partenaires plus importants de façon à avoir une autre ligne de défense contre le protectionnisme. Enfin, il va falloir intensifier la diplomatie commerciale et économique, par exemple en donnant plus de support à l’OMC (Organisation mondiale du commerce) ainsi qu’aux autres institutions internationales qui promeuvent des politiques saines. Les pays en développement ont aussi intérêt à renforcer les liens commerciaux et économiques avec les économies majeures comme la Chine, l’UE…
Nombreux sont les pays africains qui ont enregistré depuis le début de la décennie 2000 des taux de croissance robustes et non erratiques. Cette croissance n’est pas inclusive pour diminuer la pauvreté, car elle ne s’est pas traduite par une répartition des revenus. Comment l’expliquer ?
L’augmentation des inégalités est un phénomène complexe, et elle n’est pas forcément généralisée. Souvent la cause principale des inégalités est l’innovation technologique qui accélère la croissance mais réduit la demande en travail non-qualifié. La libéralisation commerciale dans les pays pauvres cause souvent un effet inverse avec cette propension d’augmenter la demande en travail non-qualifié dans les secteurs à l’exportation. Mais elle cause aussi une augmentation de la demande pour les travailleurs qualifiés et pour les entrepreneurs (le capital-investissement) qui est encore plus marquée et dans un contexte où l’offre de compétences est très limitée. Dans certains cas, les politiques économiques peuvent creuser les inégalités au lieu de les réduire, par exemple quand le système de taxation privilégie les impôts sur les produits et services plutôt que sur les revenus de façon progressive.
Et que faut-il pour partager les fruits de la croissance ?
Il ne faut surtout pas arrêter d’investir dans la technologie ou de promouvoir le commerce, qui sont les principales sources de la croissance. Il faut également renforcer les politiques d’éducation et de formation professionnelle pour améliorer les capacités et les compétences des travailleurs. Ceci passe inéluctablement par des infrastructures de qualité dans les régions défavorisées, la mobilité des travailleurs et du capital (climat d’investissement) et, ou possible, un filet social (social safety net) plus large et robuste.
Le Golfe de Guinée, notamment à la frontière mauritano-sénégalaise, enregistre des découvertes majeures en pétrole et en gaz. Un gisement de gaz de 450 milliards de m3 va être exploité bientôt par BP et Kosmos Energy. Et pourtant, le financement des énergies fossiles ne fait plus recette auprès des institutions multilatérales comme la Banque mondiale et le FMI qui ont décidé de ne plus y mettre de l’argent. Cela n’est-il pas un frein à la croissance de ces pays africains ?
Je ne le pense pas pour la simple raison que ces projets sont (ou devraient être) tout à fait rentables. Et ils relèvent du domaine naturel des investisseurs privés. En revanche, les institutions financières internationales peuvent jouer un rôle crucial en aidant les gouvernements de ces pays à produire des biens publics essentiels tels que les lois et réglementations des secteurs économiques, les infrastructures, et les compétences des ouvriers à l’exploitation d’énergie fossiles.