Aux commandes de Smart Capital, la société de gestion en charge de l’implémentation du programme Startup Tunisia, Alaya Betaieb est dans son élément. Sa longue carrière professionnelle dans le capital-risque, investissement ou encore de gestion d’actifs en fait, sans aucun doute, the right man at the right place. Pour nombre d’observateurs, le choix de ce profil par les autorités étatiques tunisiennes est une preuve, s’il en est, de volonté de doter cette structure d’un pilote à la dimension de l’ambition à transformer, à terme, le pays en une Startup-nation. Le défi est en marche.
AFRIMAG : quel contenu donnez-vous au Startup Act Tunisie ?

Alaya Bettaieb : Le Startup Act est l’une des trois composantes principales d’un programme national, dénommé Startup Tunisia. Startup Act est la dynamo à partir de laquelle il a été possible d’écarter les nombreux blocages de la législation à l’accomplissement de la vision ambitieuse de Startup Tunisia.
Startup Act a été conçu pour accorder des incitations financières, fiscales et autres facilitations stimulantes à l’entrepreneur créateur, à l’investisseur individuel ou institutionnel et à la startup au cœur des enjeux. Ainsi un système de mérite, appelé labélisation, a été mis en place pour crédibiliser le processus d’octroi de ces avantages et servir les créateurs de valeurs, les geeks, les startups les plus innovantes. Aussitôt entrée en vigueur, la loi a créé une ruée vers la labélisation. Elle a été un excellent catalyseur pour faire émerger les talents cachés. La loi a incité hommes, femmes, jeunes et moins jeunes à exposer leurs idées et défendre leurs projets.
En deux ans, la Tunisie est parvenue à labelliser quelque 500 startups. Comment expliquer ce succès ?
Le Tunisien bénéficie depuis une décennie d’un climat de liberté d’expression, d’action, et d’engagement dans des activités associatives. Il est appelé à trouver des solutions aux problèmes qui se posent. Ce climat a nourri son sens de responsabilité pour transformer les problèmes en opportunités. Startup Act a été un catalyseur dans ce processus. Concrètement, l’engouement des entrepreneurs, favorisés par l’assouplissement du cadre juridique et l’effervescence d’un écosystème technologique aux normes recherchées, explique ces résultats préliminaires encourageants.
Le dernier rapport sur le Startup Act montre son impact sur l’industrie tunisienne de l’innovation. Combien de startups comptez-vous labelliser durant ce troisième exercice ?
L’objectif affiché sur la période de 2019-2024, c’est-à-dire de cinq ans, est de 1000 startups. Nous avons déjà atteint notre but avec 500 startups labellisées dès avril 2021, soit deux ans après le lancement du programme. Et tout semble indiquer que le rythme annuel de labélisation continuera à s’inscrire dans le trend haussier. Nous observons déjà une tendance supérieure aux objectifs fixés. Elle devrait se confirmer. Selon nos premières projections, nous devrions facilement atteindre un total de 700 startups sur cette troisième année du programme.
Où en est le second pilier du programme Startup Tunisia dont l’objectif est de permettre l’émergence d’une industrie de capital-risque solide et dynamique ?
Le programme suit son cours normal, bien que l’absence d’un financement approprié représente un grand handicap pour nos jeunes pousses labélisées. Toutefois, un deuxième pilier, Startup Invest, a été planifié et annoncé début 2021 avec l’amorçage d’ANAVA, le premier fonds de fonds libellé en devises de l’histoire de la Tunisie. Avec une taille cible de 200 millions d’euros, nous pensons que ce fonds permettra l’émergence d’une industrie de capital-risque solide et dynamique sur les prochaines années comme prévu. Ainsi, nous créerons les mécanismes qui seront alignés avec la vision de l’écosystème. Le Startup Act labélise les startups fiables et viables de façon à ce que le fonds ANAVA trouve le pipe approprié pour mener à bout les investissements et les financements nécessaires.
Qu’est-ce que le fonds ANAVA et quel objectif s’assigne-t-il ?
Le fonds de fonds ANAVA cible les sociétés de gestion de fonds qui vont s’engager à financer les trois segments de la vie d’une startup : l’amorçage (Seed), la croissance (Early) et l’expansion (Late). ANAVA veille à créer 8 fonds seed, 5 fonds early et 3 fonds late. Le nombre de seed funds est supérieur puisque nous aurons beaucoup de projets au départ. Les fonds créés fonctionneront pratiquement en osmose. ANAVA va booster et révolutionner l’écosystème. Il ne faut pas oublier qu’en Tunisie, il existe réellement seulement deux fonds de Venture Capital (VC) qui travaillent avec les startups. Ce nombre passera à 18 avec le fonds de fonds ANAVA d’ici 2026. En ce
sens, l’Etat a joué le rôle de catalyseur en soutenant les initiateurs du projet Startup Tunisia puisqu’il s’est endetté pour amorcer la participation dans le fonds de fonds ANAVA à travers un crédit de la Banque mondiale qui a été octroyé à la Caisse des dépôts et des consignations (CDC) de Tunisie, pour être l’investisseur de référence dans le fonds de fonds.
Je qualifie cet engagement de l’État d’intelligent à double titre. D’une part, il a été fait à un moment où les participations en equity (capitaux en fonds propres, Ndlr) étaient difficiles pour des fonds mono-pays à risque ciblant les startups, en plus d’un engagement qui s’étale sur vingt ans afin de se donner les chances pour réussir le projet Startup Tunisia et faire du pays un hub des startups. D’autre part, cet engagement à long terme a sécurisé d’autres bailleurs européens notamment à considérer une participation en equity.
Le premier closing avec la CDC a eu lieu au mois de janvier dernier pour un montant de 40 millions d’euros. Le deuxième est prévu très prochainement pour un montant de 35 millions d’euros.
Le rapport fait également un profiling intéressant des fondateurs de ces startups. Comment expliquez-vous que seulement moins de 5 % des startups sont fondées par des femmes ?
La femme tunisienne est bien éduquée et ses droits sociaux sont protégés. Ces acquis ont fait de la Tunisie un pays avancé sur les questions de genre. La femme tunisienne manifeste un intérêt certain pour des métiers qui lui offrent une stabilité financière et un équilibre familial. Ceci se vérifie à travers le nombre croissant d’entre elles qui s’engagent dans des projets PME avec particulièrement une déclinaison orientée services et commerce électronique. Cet attrait de la femme tunisienne pour l’entrepreneuriat se vérifie également de façon significative dans les activités de la recherche scientifique et de l’innovation. Ce sont des ingrédients, qui sont prouvés et qui nous rassurent que l’entrepreneuriat technologique féminin se développera plus rapidement dans les prochaines années. Dans le cadre de Startup Ecosystem, le troisième pilier de Startup Tunisia, nous comptons initier de nombreuses actions afin de renforcer l’accompagnement des femmes entrepreneures et d’améliorer l’inclusion féminine dans l’écosystème des startups.
Le Kenya, le Rwanda, le Nigeria, l’Afrique du Sud, l’Egypte, le Ghana ou le Sénégal sont ceux qui attirent les gros des investisseurs ciblant les startups en Afrique, le Maghreb semble manquer d’attractivité. Où se situent les difficultés pour capter les fonds d’investissements, les business angels?
Le Maghreb a un grand handicap du fait que son marché est annoncé depuis 1989, mais qu’il n’a jamais été opérationnel. Ce statu quo fait de nous des pays évoluant individuellement, réfractaires à toute idée de groupement de pays ou de région intégrée pour permettre à ces fonds de saisir des opportunités plus intéressantes dans un marché plus important. L’instabilité politique et le retard dans la mise en place de l’administration électronique, et la réforme de la loi des changes sont autant de contraintes qui freinent en Tunisie, par exemple, l’avancement des projets et le transfert des fonds. C’est un handicap observé par beaucoup de bailleurs de fonds.
Ceci étant, les acteurs de l’écosystème veillent à remédier à tout cela. La SFI a déjà lancé une initiative intéressante veillant à encourager les pays du Maghreb à créer d’autres Startup Acts et inciter les startups à investir au-delà des frontières.
Maghreb Diaspora Business Angels Network est une autre initiative qui vient d’être lancée, et qui mettra en contact la diaspora maghrébine en Europe et aux États-Unis qu’ils soient investisseurs, experts ou entrepreneurs potentiels avec les entrepreneurs et business angels installés au Maghreb pour créer des projets communs capables de booster l’écosystème local et stimuler les investissements dans la région.
A l’échelle du continent, pourquoi les startups tunisiennes ne captent pas autant de fonds à l’international à l’instar des jeunes pousses du Kenya, du Nigeria, de l’Afrique du Sud, de l’Égypte ou encore du Sénégal ?
Ceci était vrai il y a quelques années, mais la tendance est actuellement à la hausse pour les startups tunisiennes, avec des montants de moins de 10 millions de dollars US. Au mois de mai dernier, Expensya (Société éditant des progiciels de gestion des budgets) avait levé 20 millions de dollars US. J’imagine qu’il y en aura plus d’ici la fin de l’année.
Nous sommes confiants qu’avec la dynamique que nous avons enclenchée, en plus du dévouement grandissant de la jeunesse tunisienne notamment les femmes expertes pour l’entreprenariat technologique, l’avenir est prometteur pour les startups tunisiennes. La fin de l’année en cours nous réservera de belles surprises.