Madrid. La Syrie est un champ de ruines baigné de sang. Quatre années de guerre civile ont causé plus de 200 000 morts, un million de blessés et 6,7 millions de personnes déplacées à l’intérieur du pays. 3,8 autres millions vivent comme réfugiés dans la région et au-delà et 13 millions (sur une population de 20 millions avant-guerre) ont besoin d’aide humanitaire. Deux illustres envoyés spéciaux des Nations Unies (Kofi Annan et Lakhdar Brahimi), ont renoncé face à la spirale perçue sans fin de la violence en Syrie.

Cependant, dans ce contexte peu réjouissant, pointe un motif d’optimisme prudent. Les forces kurdes ont récemment réussi, après des mois de violents combats, à expulser l’État islamique de la ville frontalière de Kobane. En outre, le nouvel envoyé de l’ONU, Staffan de Mistura, a lancé une stratégie « Alepo First » pragmatique et déterminée, visant à geler les opérations militaires dans la ville en ruines et à faciliter l’entrée d’aide. Serions-nous en présence d’un tournant pour la Syrie ?
[box type= »shadow » align= »alignleft » width= »40% » ]Ana Palacio, ancien ministre des Affaires étrangères espagnol et ancien Vice-président de la Banque mondiale, est membre du Conseil d’État espagnol. Elle est aujourd’hui, professeur invité à l’Université de Georgetown, et membre du Global Agenda Council du Forum économique mondial. Dans cette contribution, elle porte une analyse fine sur l’évolution du conflit syrien. Les États-Unis ne font plus un préalable au départ du président Assad. Quant à la politique de l’Union européenne vis-à-vis de la Syrie, elle reste confuse [/box]Lorsque la crise a éclaté en Syrie, personne n’a su prédire à quel point elle serait grave, longue et complexe. Tout d’abord, les observateurs ont sous-estimé le sentiment de désespoir qui n’a eu de cesse de s’aggraver parmi les citoyens et qui les a poussé à soutenir les groupes djihadistes ou le régime d’Assad.Le conflit est également unique par son asymétrie, issue de l’origine disparate des nombreux acteurs impliqués. Il n’y a que deux armées conventionnelles : les combattants kurdes et les forces loyalistes du Président Bashar el-Assad. L’opposition se compose de factions dépendantes de commanditaires étrangers. En effet, l’opposition « nationaliste » est simplement un assortiment de factions chargées de protéger les petits territoires. Quant à « l’Armée Syrienne Libre », elle n’est guère plus qu’une chimère. La dure réalité est que les groupes les mieux organisés sont les djihadistes : l’État islamique, Jabhat al-Nusra et le Front islamique.
Le projet de de Mistura a pour but de stabiliser la situation en déplaçant l’accent politique mis sur une campagne militaire implacable : une approche qui ne bénéficie qu’à l’État islamique. Le focus sur Alep (qui est non seulement un centre commercial et la plus grande ville de la Syrie, mais représente aussi une sorte de microcosme du pays), le distingue des fragiles cessez-le-feu mis en place à Homs et ailleurs dans le pays.
La force principale de cette stratégie, c’est qu’elle n’est pas en soi, un projet de paix. Au lieu d’exiger que toutes les factions se rendent ou qu’elles abandonnent leurs armes, elle appelle uniquement à la cessation des combats acharnés, pour autoriser l’acheminement de l’aide humanitaire et pour empêcher l’effondrement total d’Alep.
Un tel gel (garanti par un mécanisme d’application efficace), présenterait une occasion importante de progresser dans l’établissement de la confiance. De récents pourparlers au Caire et à Moscou ont produit des avancées réduites mais non négligeables dans cette direction. L’objectif devrait être d’initier un dialogue productif (et en fin de compte de parvenir à un consensus) parmi les acteurs concernés.
Dans cette guerre par factions interposées, aucune solution ne sera possible sans l’accord des principales sources des factions de soutien : l’Iran, l’Arabie Saoudite et le Qatar. De même, la Turquie doit non seulement s’attaquer à l’afflux de réfugiés, aux problèmes de sécurité le long de sa frontière avec la Syrie et à sa position comme pays de transit pour les djihadistes. Elle doit également élaborer une politique cohérente contre l’État islamique qui ne soit pas subsumée à l’anxiété officielle face aux exigences de la minorité kurde du pays.
D’autres puissances auront également un rôle essentiel à jouer. Le soutien des États-Unis à l’initiative de Mistura symbolise une évolution constructive de la part de l’administration du Président Barack Obama, par rapport à sa demande du retrait immédiat d’Assad.
Cependant la politique de l’Union européenne vis-à-vis la Syrie reste confuse, dont certains États Membres sont parvenus seulement à accepter de créer un fonds régional d’affectation spéciale pour faire face à cette crise. Étant donné le vif intérêt de l’UE pour une Syrie plus stable, qui s’enracine dans sa proximité géographique, il est temps pour les leaders européens d’adopter une position claire sur le pays.
Mais une solution durable au conflit incombe en définitive aux Syriens. En fait, les bases nécessaires à une solution viable sous direction politique syrienne ont été posées dans le Communiqué Genève I. Cependant, plusieurs cycles de négociations successifs ont échoué, à cause de la mentalité de « tout ou rien » qui a dominée les négociations, fondée en grande partie sur l’hypothèse erronée qu’Assad, comme Zine el-Abidine Ben Ali en Tunisie et Hosni Moubarak en Égypte, pourrait être évincé relativement rapidement. Mais de Mistura a clairement dit que son but ne consiste ni à instaurer une paix durable avec Assad, ni à établir l’abandon du pouvoir par Assad comme une condition préalable à la paix. La solution se trouve entre ces deux options et l’Occident (et en particulier l’Europe) doivent l’accepter.
Établir des demandes irréalistes sur un processus de paix va conduire à coup sûr à l’échec. Le pragmatisme est essentiel, même si cela signifie que certains acteurs concernés, y compris l’UE, devront ravaler leur fierté. La stabilité de la région, ainsi que la vie et ce qui reste des moyens d’existence du peuple syrien en dépendent.