La compétition entre puissances économiques confirmées – ou en devenir – se joue désormais pleinement en Afrique. Après la Chine et l’Inde, la Turquie, à laquelle l’Europe politique et économique, mais pas militaire (Otan) ferme obstinément ses portes, en refusant toujours son intégration dans l’espace UE, vient bousculer les certitudes de Bruxelles là où les considérations stratégiques déterminent les nouvelles lois du marché. Dans cette course aux honneurs (la troisième place du podium derrière la Chine et l’UE), la Turquie se donne pour objectif de porter ses échanges commerciaux avec l’Afrique à 100 milliards de dollars US à l’horizon 2022. Pari difficile tant le retard par rapport à la Chine, premier investisseur en Afrique, est grand. Les chiffres annoncés officiellement par Pékin, le 27 février dernier, révèle son avance conséquente sur les autres : le volume des échanges commerciaux sino-africains a atteint 170 milliards de dollars américains, en 2017, soit une augmentation annuelle de 14%. Mais la Turquie qui vient de loin arrive tout de même. En 2013, ses échanges avec l’Afrique étaient de 30 milliards USD et, en 2000, de…100 millions de dollars américains, soit le niveau où ils se trouvent aujourd’hui avec la Mauritanie, un pays où Erdogan n’est resté, dans sa récente tournée, que quatre petites heures !
L’ouverture sur l’Afrique de la Turquie est stratégique à plusieurs égards. La compétition économique entre les partenaires historiques du Continent redéfinit les rapports défectueux, voire devenus « impossibles », entre Ankara et les 27 de l’UE. Membre de l’Otan depuis 1952, la Turquie a longtemps pratiqué une politique étrangère tournée vers l’Occident mais la difficile « mise à niveau » démocratique a toujours constitué un obstacle à son intégration au sein de l’UE. Confrontée au rejet de sa candidature à l’UE lors du Conseil européen de Luxembourg de 1997 au bout d’une décennie d’atermoiements, Ankara a décidé de redéfinir sa politique internationale en renforçant ses liens avec l’ensemble du monde. Les voyages d’Erdogan en Afrique et en Amérique latine ont aussi pour objectif d’explorer les possibilités de compenser la perte du marché russe par des marchés africains. Une conséquence du conflit syrien. Mais les pays déjà visitées, en 2015 (Côte d’Ivoire, Ghana, Nigeria et Guinée sont des citadelles difficiles à prendre. La compétition se joue aussi sur la loi de la proximité et, dans ce domaine, un pays comme le Maroc, qui frappe aux portes de la CEDEAO, ou des anciennes puissances coloniales (France, Grande Bretagne) a des avantages comparatifs certains. Pour devenir un « acteur global », selon le mot d’Erdogan, alors Premier ministre, la Turquie (17ème puissance économique mondiale) ne peut compter uniquement sur son prestige d’antan. Sa double appartenance à l’Europe et à l’Asie et la redéfinition de son identité internationale doivent l’aider autant que son « programme d’ouverture à l’Afrique », adopté en 1998, à réaliser ses nouvelles ambitions économiques.