Depuis plusieurs années sévissent sur les réseaux sociaux des escrocs numériques opérant depuis le plus souvent l’Afrique francophone, les «brouteurs.» Il s’agit d’internautes cachés sous de faux profils, parfois usurpés, qui se livrent à plusieurs types de méfaits. L’affaire du faux Brad Pitt a permis ces derniers mois de médiatiser le fléau et l’étendue des supercheries. On soulignera que l’expression «brouteur» issue de l’argot ivoirien fait référence aux moutons, qui profitent d’une nourriture facile d’accès et sans effort. Tout est dit ! Une pratique qui à terme nourrit surtout la méfiance du Nord envers le Sud…

Repérant des personnes vulnérables, sensibles ou en détresse affective à travers les réseaux Facebook, Instagram ou directement via des messageries comme WhatsApp ou Messenger, des individus organisés souvent en équipe, les «brouteurs» tissent patiemment, parfois durant de longs mois voire des années, une toile maléfique autour de leur future victime. Une relation forte se construit alors au fil des échanges entre la proie et ses futurs bourreaux, dissimulés sous un masque de bienveillance et de compassion apparente. Et, c’est tout un stratagème qui est déployé afin de mettre en confiance la naïve victime au travers d’un processus à la «mécanique bien huilée» et en constant perfectionnement : usurpation d’identité, exploitation d’éléments de l’actualité médiatique, retouches ou détournements de photographies, création de scénario de vie, exploitation de l’Intelligence Artificiel, etc.
Différentes approches sont enfin imaginées par les malfrats pour extorquer des sommes parfois colossales aux victimes : chantages affectifs, simulacre d’accidents ou de maladies graves qui engendreraient des frais imaginaires et exorbitants d’hospitalisation, menaces de divulgation publique d’échanges électroniques antérieurs comportant des informations intimes (confidences ou photographies compromettantes par exemple), etc.
Les dégâts de ces escroqueries sont mal évalués mais on les devine considérables : couples brisés lorsqu’un des conjoints a entretenu une relation virtuelle, affective voire passionnée avec un «brouteur», famille dévastée lorsque les sommes soutirées engendrent un endettement ou pire encore la ruine du ménage.
Combien de femmes et d’hommes en France, en Suisse et en Belgique ont été bernés ? Combien de personnes ont vécu des dépressions ou se sont suicidées pour échapper à leur bourreau numérique et aux conséquences réelles de leur faiblesse ? Au fil des années, toutefois, les langues se délient et les témoignages affluent. La honte et la culpabilité, deux sentiments forts, empêchent bien souvent toute statistique sérieuse. Les victimes lorsqu’elles se décident à parler disent se sentir humiliées voire «violées.»
Il apparait que le processus de «séduction» et de «persuasion» utilisé est souvent plus fluide lorsque certaines barrières sociolinguistiques sont levées. Ces cyber escrocs rodés surfent sur la proximité culturelle et affective qu’offre la langue française pour mieux piéger leur victime.
Les «brouteurs» profitent de l’esprit fraternel de la Francophonie pour finalement la dévoyer
Le français n’est pas qu’une simple langue : c’est un héritage commun, un terrain propice à la création, l’éducation, le savoir, les affaires. Et c’est dans ce dernier espace partagé, un espace de confiance que s’engouffrent les «brouteurs» pour duper les personnes en quête de relations et d’échanges francs et sincères.
Les «brouteurs» jettent l’opprobre sur des pays du sud et leur population. L’image d’un pays comme la Côte d’Ivoire est écornée en France par exemple. Dès qu’un appel WhatsApp, non identifié provient de la Côte d’Ivoire ou d’un pays d’Afrique de l’Ouest, le reflexe premier est de se dire que ce sont des escrocs qui sont «au bout du fil.» A terme, il est clair que cette situation porte préjudice à toutes les personnes issues d’Afrique de l’Ouest. L’imaginaire humain est parfois réducteur et à terme tout étudiant ou entrepreneur Ivoirien sera injustement suspecté d’être un potentiel fraudeur ou un usurpateur. Les «brouteurs» sapent également les fondements de la Francophonie économique en perturbant les relations de confiance interpersonnelle entre le Nord et le Sud. Qui souhaiterait investir ou passer ses vacances dans un pays qui a mauvaise presse ? Il est temps d’en prendre conscience.
Une lutte indispensable qui sera bénéfique au Nord comme au Sud
Face à cette situation désastreuse, la Suisse pays en partie francophone se veut pragmatique et s’attaque frontalement au sujet par des campagnes de prévention du grand public par la Police et la Prévention Suisse de la Criminalité. Evoquer ouvertement le sujet permet déjà il est vrai, de sensibiliser les citoyens, hommes, femmes potentiellement victimes de ces démarches d’une part. D’autre part, cette démarche permet également de déculpabiliser les victimes et de les sortir de l’isolement permettant la libération de la parole.
En France en revanche, la méfiance s’installe davantage chaque jour et des campagnes ciblant le grand public manquent encore. Les campagnes de sensibilisation aux risques relevant d’Internet devraient aux côtés de celles portant sur la protection des mineurs comporter un volet sur les risques d’arnaques des adultes.
Pour leur part, les pays du Sud ne peuvent se complaire dans une passivité complice. Ils devraient durcir de façon énergique la répression contre ces individus qui portent atteinte à l’image de leurs pays notamment de leur jeunesse. Une politique mêlant prévention et répression est indispensable au risque de laisser prospérer une ostracisation de leurs citoyens, une situation qui n’est pas à négliger dans un contexte économique et culturel ou les peuples sont tentés de se replier sur eux-mêmes.