Source : Le Devoir
Les revirements spectaculaires de Donald Trump face à ses alliés occidentaux, à l’OTAN, à la guerre en Ukraine, tout comme son rapprochement des derniers jours avec le clan mondial des dictateurs — dont Vladimir Poutine fait partie —, viennent de relancer la machine à rumeurs sur les «liens mystérieux» qui pourraient exister entre le républicain et l’homme fort du Kremlin. Des liens qui, selon des ex-espions soviétiques, seraient cultivés depuis le siècle dernier, pour faire vaciller désormais, chaque jour un peu plus, l’Occident
C’est l’ancien chef des services de renseignement du Kazakhstan Alnour Moussayev qui a ramené les suspicions sur le devant de la scène, en affirmant il y a quelques jours dans une publication sur Facebook que Donald Trump a été «recruté par le KGB», les services secrets de l’ex-URSS, en 1987 comme agent étranger.
Alexander J. Motyl, professeur de science politique à l’Université Rutgers, en fait état dans un texte publié cette semaine dans le quotidien politique américain The Hill.
Selon Moussayev, ex-membre du Comité de sécurité nationale du Kazakhstan et ex-membre de la 6e direction du KGB, responsable du contre-espionnage dans le monde de l’économie, la chose se serait produite lors de la première visite du jeune magnat américain de l’immobilier à Moscou. Trump avait 40 ans. «Notre direction a recruté Donald Trump sous le pseudonyme de Krasnov», a-t-il écrit, en ajoutant que le «dossier personnel» de cet agent serait désormais «géré en privé par l’un des proches collaborateurs de Poutine.»
L’ex-espion soviétique n’apporte pas de documents pour soutenir ses allégations. C’est bien sûr un problème. Mais elles s’emboîtent en partie avec des révélations faites dans la foulée de la chute du rideau de fer sur les pratiques du KGB. Des sources au sein de cette agence d’espionnage avaient alors détaillé comment le KGB a cherché à cibler et à recruter des personnalités éminentes de l’Occident durant la guerre froide et jusque dans les dernières années de l’Union soviétique. Le but était de les entraîner dans une forme de collaboration en tant qu’agents ou contacts confidentiels. La compromission était alors un puissant levier pour y arriver.
Figure ascendante du monde des affaires et de l’immobilier aux États-Unis durant les années 1980, Donald Trump cochait plusieurs cases dans les formulaires du KGB. Le futur président des États-Unis était en visite à l’invitation du régime soviétique et portait un vague projet de construction d’un hôtel à Moscou.
Mais il faut en convenir : les concordances de faits n’établissent pas forcément des culpabilités.
Alnour Moussayev n’est toutefois pas le seul à affirmer qu’il existerait un lien entre Donald Trump et Vladimir Poutine. Youri Chvets, un ancien haut gradé du KGB, a alimenté la thèse en 2021 comme source principale du journaliste Craig Unger, auteur du livre à succès American Kompromat. L’ouvrage détaille la manière dont le KGB aurait «fabriqué» Donald Trump pour mieux s’en servir. Un autre ancien officier du KGB, Sergueï Jirnov, qui vit en France, a également appuyé ce récit au début de la semaine, dans une entrevue accordée sur YouTube à la journaliste ukrainienne Olena Kourbanova.
«Aucun de ces anciens agents du KGB n’a fourni de preuves, mais le fait que trois agents situés à des endroits différents et parlant à des moments différents soient d’accord sur cette histoire laisse croire que cette possibilité ne doit pas être écartée d’emblée», écrit Alexander J. Motyl.
En 2016, l’ancien directeur de la CIA Michael Morell avait affirmé que Donald Trump était un «agent involontaire» de la Russie, estimant au passage que le candidat républicain n’avait pas ce qu’il fallait pour devenir «commandant en chef» des États-Unis. L’ancien directeur de la sécurité nationale James Clapper a soutenu l’affirmation, le qualifiant d’«agent du renseignement» russe. Un autre ex-patron de la CIA, John Brennan, a quant à lui déclaré que le populiste était «entièrement dans la poche de Poutine.»
Le principal intéressé, lui, a toujours nié avec véhémence avoir des liens inappropriés avec la Russie ou être en collusion avec le président Vladimir Poutine.
Sans preuve, les Américains — et le reste du monde — sont désormais obligés de le croire tout en suivant, malgré tout, des faisceaux qui éloignent régulièrement les regards de cette possible vérité.
C’est que depuis plusieurs semaines, le président américain multiplie les déclarations qui soutiennent son rapprochement avec Moscou, mais aussi qui indiquent une certaine connivence avec Vladimir Poutine. Il a repris les mots et les éléments de langage du Kremlin sur la guerre en Ukraine et sur le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, qu’il a traité de «dictateur sans élection» en lui attribuant la responsabilité du conflit. Lors de sa rencontre avec le président français, Emmanuel Macron, lundi, il a aussi refusé de qualifier Poutine de «dictateur», précisant qu’il «n’emploie pas les mots à la légère.»
Cette semaine, Donald Trump a poussé le curseur encore plus loin en amenant les États-Unis à voter aux côtés de la Russie, de la Biélorussie et de la Corée du Nord, trois dictatures, contre une résolution de l’ONU qui appelle à la fin de la guerre en Ukraine. Et tout ça en contradiction, finalement, avec son statut de populiste d’ordinaire plus enclin à gouverner en suivant les opinions et les humeurs de son peuple qu’en s’inclinant et en se soumettant à la volonté d’un dictateur.
Et l’humeur des Américains sur la Russie de Vladimir Poutine est pourtant assez claire : 88 % d’entre eux n’ont pas ou ont peu confiance en l’homme fort du Kremlin. Six personnes sur dix pensent même que la Russie est une ennemie des États-Unis plutôt qu’une partenaire, selon une étude du Pew Research Center réalisée en avril 2024. Une distance qui vient forcément entretenir le mystère d’une «emprise» de la Russie sur le président américain, comme l’a dit cette semaine Anthony Scaramucci, bref directeur de la communication de Trump à la Maison-Blanche en 2017, dans le balado The Rest Is Politics: US.
Il ne l’a pas plus éclairé, ce mystère. Mais selon lui, plusieurs anciens responsables du gouvernement Trump, dont H.R. McMaster, ex-conseiller à la sécurité nationale, James Mattis, ex-secrétaire à la Défense, et John Kelly, ex-chef de cabinet de Trump, ont eux aussi eu de la difficulté à expliquer l’affinité de leur patron avec le dictateur russe. «Je ne sais pas pourquoi c’est comme ça», a dit Scaramucci. «McMaster n’a pas réussi à comprendre, Mattis n’a pas réussi à comprendre, Kelly n’a pas réussi à comprendre.» Et, encore aujourd’hui, ils ne sont pas les seuls.