A l’instar de quelques pays africains dont la Tunisie[1] et le Kenya[2] qui ont adopté une législation spéciale relative aux start up ou qui sont en passe de le faire (Rwanda[3], Cote d’Ivoire[4]), le Sénégal a adopté la loi n°2020‐01 du 6 janvier 2020 relative à la création et à la promotion de la startup au Sénégal, «’’la loi’’».
Cette loi fait suite à une série de réformes légales et règlementaires favorables à la création et au financement des entreprises telles que la loi n°02-2020 du 7 janvier 2020 relative aux Petites et Moyennes Entreprises (PME) ou encore certaines dispositions de l’Acte Uniforme sur les sociétés commerciales révisé relatives à la variation du capital, à la société par actions simplifiées ou encore l’aménagement du régime des valeurs mobilières[5]. Ce mouvement de réformes s’inscrit plus globalement dans un contexte de l’impact grandissant des nouvelles entreprises innovantes dans la croissance économique nationale. L’exposé de motifs de la loi exprime d’ailleurs clairement l’idée de valoriser les innovations, notamment technologiques, pour en faire un levier essentiel du développement de l’économie nationale.

Avocat, Arbitre CCJA,
Membre de la Cour d’Arbitrage de la CCI
Managing Partner, GENI & KEBE
Contrairement à la plupart de nouvelles lois qui ont souvent vocation à s’appliquer pour l’avenir, la loi sur les start up est applicable à toute entreprise déjà constituée sur le territoire national et ayant vocation à bénéficier du statut de start-up en raison notamment de ses dispositions attractives et du fait de l’absence d’un régime légal antérieur spécifique aux start up[6]. La loi, notamment dans ses dispositions incitatives, s’applique ainsi aux entreprises qui s’engagent à respecter ses dispositions[7].
Comme son nom l’indique, la loi entend promouvoir la création et le développement de start up au Sénégal en édictant notamment de dispositions incitatives et de dispositions organisant la création et le fonctionnement des start up. La présente analyse revient sur les principales dispositions de la loi en les analysant par rapport au double contexte règlementaire local et régional.
Champ d’application et terminologie
La loi s’applique à toute startup créée sur le territoire sénégalais dont le capital est détenu au moins au 1/3 par des personnes physiques de nationalité sénégalaise ou résidentes au Sénégal ou par des personnes morales ayant leur siège social au Sénégal[8]. Elle s’applique également à toute startup créée par des sénégalais établis à l’étranger dont le capital est détenu au moins à 50 % par ces derniers[9]. Il ressort de ces dispositions que le Sénégal a fait le choix d’orienter sa législation vers un critère de nationalité sénégalaise pour les personnes physiques établies au Sénégal ou à l’étranger ou d’une part et vers un critère d’établissement au Sénégal (siège social) pour les personnes morales d’autre part. Ce choix de fonder l’application de la loi au critère de nationalité notamment n’a pas toujours pas prévalu dans les autres législations régionales dédiées aux start up à l’instar de la Tunisie. Il a tout de même l’avantage d’attirer notamment la diaspora sénégalaise dont l’apport à l’économie sénégalaise est non négligeable au point d’atteindre 1110 milliards de francs CFA en 2017 selon les chiffres de l’Agence nationale de la statistique et de la démographie.
En outre, il convient de noter que la loi ne consacre pas un régime spécifique aux incubateurs de start up dont l’importance est réelle en pratique en ce qu’elle accompagne la naissance et le développement de start-ups en leur délivrant notamment de services de conseils et de formation. La loi kenyanne relative aux start up prévoit par exemple des dispositions particulières relatives notamment aux activités des incubateurs de start up ainsi qu’à leurs conditions de certification[10].
Du point de vue terminologique, la loi définit les notions clés de promoteur de start up, de start up, de start up enregistrée ou encore de start up labellisée. On remarque que la notion de start up est définie comme « entreprise innovante et agile, légalement constituée depuis moins de 8 ans, dotée d’un fort potentiel de croissance à la recherche d’un modèle économique disruptif et de mécanismes de financement adaptés à sa spécificité en vue de déployer sa capacité exceptionnelle de création de valeurs »[11]. Il ressort de cette définition que la start up pour être légalement identifiée comme telle doit être de création récente (moins de 8 ans), et doit être caractérisé par son caractère innovant, disruptif et son fort potentiel de création de valeurs.
Cadre institutionnel
La loi prévoit la mise en place de la Commission d’évaluation, d’appui et de coordination inclusive de l’ensemble des parties prenantes publiques, privées et sociétales «’’la Commission’’» ainsi que des expertises nécessaires au développement de la startup[12]. Cette Commission aura principalement pour rôle de procéder à l’enregistrement et à la labellisation des entreprises aspirant au statut de start up grâce à une plateforme en ligne qu’elle mettre en place. De plus, la Commission est chargée de l’élaboration des normes techniques organisant le label startup et fixant les procédures de labellisation, d’évaluation, de renouvellement ou de retrait du label qui seront en définitives homologuées par décret.
L’organisation et le fonctionnement de la Commission, précise la loi, fera également l’objet d’un décret.
Mesures incitatives générales relatives aux start up
La loi prévoit les mesures générales incitatives suivantes au profit des start up[13] :
- L’octroi d’avantages douaniers et sociaux suivant des conditions à définir en tenant compte du Code du Travail et du Code général des douanes ;
- L’aménagement de mesures fiscales suivant des conditions à définir en tenant compte du Code général des impôts ;
- L’octroi de garanties en vue de l’obtention de crédit ;
- L’octroi direct de financements publics ou privés ;
- La mise en place de mesures favorables à l’investissement ;
- La facilitation de l’accès à la commande publique suivant des conditions à définir en tenant compte du Code des Marchés publics ;
- La mise en place de mesures d’accompagnement, de facilitation et de développement de la startup ;
- La mise en place des stratégies et mécanismes alternatifs de financement de la startup dans le respect des lois et règlements en vigueur ;
- La mise en place de mesures de renforcement des capacités de la startup.
Mesures spécifiques applicables selon les catégories de start up
Start up enregistrées
Une start up enregistrée est startup qui s’enregistre auprès d’une structure d’accompagnement privée agréée ou publique[14]. L’État s’engage ainsi auprès des start up enregistrées à prendre les mesures incitatives suivantes[15] :
- Subventionner la formalisation de la société ;
- Réserver le nom de domaine .sn ;
- Assurer la protection des innovations de la startup auprès des organismes nationaux et internationaux de protection de la propriété intellectuelle ;
- Faciliter l’accompagnement des incubateurs agréés ;
- Accompagner les activités de recherche et de développement ;
- Couvrir tout autre accompagnement nécessaire durant la phase de démarrage de la startup ;
- Mettre en place de mécanismes de prise en charge des cotisations et autres charges sociales légalement dues au titre de son statut d’employeur ;
- Accorder des d’avantages fiscaux et douaniers particuliers.
Start up labélisées
La start up labélisée est une start up enregistrée à laquelle la Commission délivre le label un label conformément au Code. La loi précise qu’il est mis en place au profit de la startup labellisée, des fonds d’origine publique et privée, destinés principalement à financer directement les startup éligibles et à garantir[16] :
- Dans la limite d’un plafond fixé par décret, les prêts, financements et participations au capital des startup, consentis ou réalisés par des sociétés d’investissement, quelle que soit leur forme, et de tout autre organisme d’investissement selon la législation en vigueur ;
- Les prêts consentis aux startup par les établissements de crédit et autres institutions financières assimilées ;
- L’exécution de marchés ;
En matière de commande publique, les start up labélisés bénéficient d’un régime préférentiel pour l’accès à la commande publique à raison de 5 % accordée à toute startup labellisée qui participe à une procédure d’appel à la concurrence relative aux marchés publics, aux délégations de service public et aux contrats de partenariat. Aussi, ce pourcentage est cumulable avec tout autre avantage accordé aux autres candidats par la réglementation en vigueur étant précisé que le cumul de la préférence ne peut dépasser 25 %[17]. Aussi, le candidat à un marché public, d’une délégation de service public ou d’un contrat de partenariat qui accepte de sous‐traiter 30 % des prestations objet du contrat à une ou plusieurs startup labélisées ou qui présente une offre en groupement avec une ou plusieurs startup, peut bénéficier d’une marge de préférence de 5 %[18]. Il convient de noter que l’avantage préférentiel ainsi accordé ne s’applique pas lorsque la start up candidate dans le cadre d’un groupement.
En définitive, la loi vient à point nommé et consacre de dispositions attractives pour l’écosystème entrepreneurial au Sénégal. Pour parachever ce dispositif innovant, la loi doit être suivie de textes d’application pour rendre effectifs et opérationnels les mécanismes de financement, le fonds de garantie, les avantages fiscaux, sociaux et douaniers prévus pour les start up.
Notes :
[1] Loi N°2018-20 du 17 avril 2018 relative aux Startup, disponible (en Arabe ) sur : https://www.startupact.tn/pdf/Loi2018_20.pdf
[2] Startup Bill, adopted the 14th December 2020, disponible (en Anglais) sur : http://parliament.go.ke/sites/default/files/2020-10/STARTUP%20BILL%2C%202020.pdf
[3] https://minict.prod.risa.rw/news-detail/minict-held-a-consultative-meeting-on-the-development-of-rwanda-startup-act
[4] https://cio-mag.com/ivorian-start-up-une-loi-pour-ameliorer-lenvironnement-des-start-ups-ivoiriennes/ (Dernière consultation le 28 Novembre 2020)
[5] Voir notamment articles 269, 311, 853, 744 de l’Acte Uniforme relatif aux Sociétés Commerciales et Groupement d’Intérêt Économique de 2014.
[6] Article 18
[7] Article 9
[8] Article 2
[9] Ibidem
[10] Start up Bill, 2020, Part 2, Section 4 and seq.
[11] Article 3
[12] Article 4
[13] Article 8
[14] Article 3
[15] Article 10
[16] Articles 12 et 13
[17] Article 13
[18] Ibidem