Marrakech a accueilli, du 13 au 15 décembre 2017, la 6ème édition de la conférence internationale Atlantic Dialogues autour du thème : « l’Afrique dans l’Atlantique, le temps de l’action ». Ce forum, organisé par le think tank OCP Policy Center, basé à Rabat, est placé sous le haut patronage de Sa Majesté le Roi Mohammed VI.
L’un des succès de cette édition 2017 a été incontestablement la qualité des débats autour des grands enjeux géopolitiques et économiques de la région Afrique, mais aussi la présence de près de 400 participants répartis entre plus de 80 nationalités différentes.
Les panels des Atlantic Dialogues 2017 avaient profité des vues et avis des personnalités de renoms, tels que Barre Seguin, directeur de la stratégie pour l’U.S. Africa Command (voir Grand Entretien), Mary Beth Leonard, ambassadrice des Etats-Unis auprès de l’Union africaine ou Fathallah Sijilmassi, Secrétaire général de l’Union pour la Méditerranée (UPM).
Parmi les responsables politiques figurent Edward Scicluna, ministre des Finances de Malte et Omar Amadu Jallow, ministre gambien de l’Agriculture. Trois anciens présidents latino-américains venus présenter pour l’Afrique les « modèles » de développement de leurs pays respectifs: Eduardo Duhalde (Argentine), Jorge Quiroga (Bolivie) et Michel Rodriguez (Costa-Rica).
On notait également la présence de l’ancien Premier ministre Aminata Touré (Sénégal) et de même que les anciens ministres des Affaires étrangères Hubert Védrine (France), Ana Palacio (Espagne) et Paulo Portas (Portugal), ainsi que l’ancien ministre de l’Education Silas Lwakabamba (Rwanda)…
La focalisation de ce forum annuel, lancé en 2012, sur les préoccupations du sud est une saine orientation, eu égard aux objectifs à l’origine même de sa genèse : réinventer un modèle de développement tenant compte des spécificités de l’Education en Afrique et des préoccupations «contingentes », comme le terrorisme. Sur ce dernier point, Jorge Castaneda, ancien ministre des Affaires étrangères du Mexique, Professeur à la New York University, souligne le paradoxe de l’action des Etats-Unis : «aujourd’hui, la lutte contre le terrorisme est devenue le prisme dominant de l’approche américaine vis-à-vis du continent. Pourtant, la lutte contre le terrorisme ne devrait se concevoir que dans le respect des valeurs communes ».
Certes, les « priorités » pour l’Afrique ont été égrainées lors des sessions précédentes mais l’on peine encore à définir les voies et moyens de mise en œuvre d’une stratégie de prise en charge propre et appropriée. Les propositions qui ont été faites, lors des séances plénières (10 au total) articulées autour de l’économie, l’éducation, la géopolitique, le financement des infrastructures, la sécurité, les interventions militaires et les leçons à tirer de ces « solutions finales », constituent une avancée certaine dans le sens de ce que les think thank initiateurs de ce forum (l’OCP Policy Center et Atlantic Dialogues) affichent, depuis 2012, comme ambitions géostratégiques.
Il s’agit, entre autres, de repenser les modèles éducatifs dans une perspective de développement adaptée à l’Afrique. Pour Assia Bensalah Alaoui, ambassadeur itinérant de du Roi Mohammed VI, «l’Afrique est tellement riche en enseignements ancestraux basés sur une sagesse séculaire» qu’il devient impératif « d’apprendre de tous ces enseignements et d’essayer de les transposer (au) système éducatif » pour réussir, dans quelques années, à «instaurer un véritable modèle africain d’éducation». Le constat est alarmant : 20% de la population du continent africain (soit environ 200 millions de personnes) est âgée de 14 à 25 ans ! Le taux d’alphabétisation de cette frange peine à dépasser les 70%, alors que le chômage touche 50% de cette même tranche d’âge !
A travers donc le Forum « Atlantic Dialogues », l’on prône une remise à niveau, nécessaire mais pas suffisante, des relations Nord-Sud et Sud-Sud. L’Afrique « se libère », de plus en plus, de la dépendance d’une APD (Aide publique au développement) de moins en moins volontariste. Le président Trump ne vient-il pas, d’ailleurs, de menacer de couper l’aide américaine à tous les pays qui s’opposent à sa décision de transférer l’ambassade US de Tel-Aviv à Jérusalem ?
Une attitude qui donne entière raison aux Atlantic Dialogues qui estiment que l’Afrique n’a plus besoin d’aides « conditionnées » mais d’investissements qui lui assurent un partenariat gagnant-gagnant. C’est le seul moyen de se doter d’outils efficaces qui lui permettront d’instaurer une meilleure gouvernance, de combattre la corruption, de réussir son modèle économique, de former ses jeunes.
Aider l’Afrique à se prendre en charge
C’est dire, comme le soulignera Hubert Védrine, ancien chef de la diplomatie française, que «plus personne aujourd’hui ne peut vraiment se targuer d’avoir le dernier mot, que ce soit en matière de leadership politique ou économique! » «Les politiques étrangères sont devenues de plus en plus dépendantes de l’opinion publique», il faut accepter que tout doit faire l’objet de négociations, de concertation pour assurer la stabilité du monde » que « plus personne ne domine d’ailleurs, même pas la Chine, malgré tout ce que l’on peut en dire ! ». Dans ce contexte, les « armes » de l’Afrique se trouvent être les énormes ressources naturelles que renferme son sous-sol ; et notamment, l’excellent potentiel dans le domaine des énergies renouvelables, solaire et hydraulique qui dispose d’un marché considérable avec une croissance de 9% par an, et pas moins de 600 millions d’Africains qui n’ont toujours pas d’accès à l’électricité! Le développement de l’économie mondiale dans son ensemble, la lutte contre le terrorisme et l’immigration, et toutes autres actions de nature à « pacifier » les rapports entre le Nord et le Sud, passent par la capacité de l’Afrique à « développer ses ressources humaines », dira, Chiedu Osakwe, directeur général du Nigerian Office for Trade Negociations. A elle seule, cette thématique résume le sens – et l’essence – de l’édition 2017 des Atlantic Dialogues.
Le mot de la fin sera prononcé par Karim El Aynaoui, directeur général de OCP Policy Center qui insistera sur la vocation du Maroc à jouer son rôle de précurseur dans ce rapprochement entre les deux rives de l’Atlantique : « pourquoi un dialogue transatlantique ? Pourquoi une 6ème édition des Atlantic Dialogues? Tout simplement parce que le Maroc découvre aujourd’hui ce potentiel énorme qu’offre l’Afrique à tous les niveaux. Nous ne sommes pas sûrs de réussir du premier coup à balayer d’un revers de main tous les problèmes qui minent notre continent. Mais en insistant, nous allons certainement parvenir à de belles choses ».
Ils ont dit…

Hisham Aidi, Institute of African Studies School of International and Public Affairs, Columbia University
« Les Atlantic Dialogues rassemblent certains des esprits les plus brillants du continent africain. Ce fut un plaisir pour moi, par exemple, d’entendre l’intervention de Aminata Touré, ancienne Première ministre du Sénégal. Les conversations ont un énorme potentiel – si nous pouvons amener les jeunes leaders à parler et à se fédérer autour des textes de W.E.B Du Bois, Achille Mbembe et Fatima Mernissi…, cela générera non seulement de nouveaux discours décoloniaux, mais aussi de nouvelles solidarités pour relier le Maghreb au reste du continent et à la diaspora africaine ».

Bertrand Bio Mama, économiste statisticien béninois, spécialiste en évaluation d’impact, Emerging leader 2017, OCP Policy Center
« Personnellement, des discussions, je retiens entre autres trois enseignements majeurs pour l’Afrique : (i) la nécessité de compter sur ses propres forces à travers des partenariats sud-sud intelligents entre pays africains et aussi avec l’Amérique latine; ce qui aiderait à faire face efficacement aux défis de sécurité alimentaire, de sécurité dans le Sahel, de déficit d’infrastructures, etc., (ii) la réforme des systèmes éducatifs africains pour rester en harmonie avec l’évolution rapide du monde et les emplois du futur, (iii) la nécessité de tirer avantage du dividende démographique à travers des politiques publiques qui favorisent l’autonomisation et l’emploi des jeunes ».

Mvemba P. Dizolele, Professeur des Relations internationales à la John Hopskins University, Etats-Unis
« Les Atlantic Dialogues m’ont impressionné sur deux plans : le profil haut-niveau des participants, qui sont des leaders dans leurs domaines respectifs, venus des quatre coins du monde et représentant quatre vingts nationalités. Ensuite, j’ai été marqué par la teneur des discussions et débats sur l’Afrique et son futur. C’est rare de trouver une pareille plate-forme d’échanges et d’analyses francs et intelligibles entre experts africains et leurs homologues d’ailleurs. Je salue cette initiative importante et l’engagement du think tank marocain OCP Policy Center ».
Entretien : Khaled Igué, Président du think tank Club 2030 Afrique
Il faut encourager la création d’entreprises et la consolidation de la société civile en Afrique subsaharienne
AFRIMAG : Malgré une croissance moyenne non erratique, au-dessus de 5%, frôlant les deux chiffres dans certains pays comme la Cote d’Ivoire ou l’Ethiopie, en Afrique subsaharienne, le taux de chômage ne diminue pas. Il ne cesse de monter. Comment expliquer ce paradoxe africain ?

Khaled Igué : La croissance soutenue de 5% n’est parfois pas suffisante pour créer une croissance inclusive pouvant engendrer une amélioration des conditions de vie des populations. Cependant la question du chômage en Afrique subsaharienne a des causes endogènes qui relèvent non seulement de l’histoire récente mais aussi de notre démographie. En effet, après les indépendances, nous avions été obnubilés par notre envie de prouver notre leadership politique et notre capacité à diriger nos pays ; nous avons non seulement oublié de créer des entreprises capables de générer des emplois mais aussi de mettre en place une société civile forte vecteur de progrès social. Notre démographie quant à elle, n’a cessé de croître avec un taux de près de 10% chaque année, ce qui fait que notre population a presque doublé en 50 ans. Plus encore cette population est extrêmement jeune puisque la moitié a moins de 35 ans. Enfin, notre système social ne favorise pas assez la valorisation du rôle des femmes dans la création de richesse. Tous ces handicaps doivent maintenant être transformés en potentiels.
Lors de cette première journée de Atlantic Dialogues, nombreuses sont les interventions qui ont mis l’accent sur la nécessité d’investir dans Les nouvelles technologies en Afrique. Est-ce à dire que le continent peut rattraper son déficit industriel par la révolution numérique.
Le numérique a un avantage, c’est une technologie accessible à tous. Ma génération vit au jour le jour avec l’industrie du numérique. Je pense donc que l’Afrique ne ratera pas la révolution numérique puisqu’elle innove déjà dans les usages. Par contre au-delà des usages, il faudrait que les pays du continent africain tous ensemble définissent une vision, des stratégies pour que l’Afrique ne subisse pas la révolution numérique mais en devienne un acteur. Pour cela, nous devrions faire émerger des start-ups et de grandes entreprises compétitives à l’échelle internationale capables d’innover et de contribuer à la chaîne de valeur régionale et mondiale.
Peut-on déjà parler de pays leaders en Afrique dans le domaine du numérique ?
Le Kenya s’impose comme un pays innovant dans le domaine du numérique drainant des capitaux importants de financement des stras-ups. Ceci est dû comme mentionné plus haut à une politique volontariste des pouvoirs publics de créer un écosystème favorable aux entreprises mettant en place un cadre règlementaire et institutionnel adéquat avec une politique fiscale intéressante. De plus la société civile et la jeunesse kenyane représentent un vrai facteur de progrès social et d’innovation car vous voyez depuis une dizaine d’années à Nairobi des incubateurs et des accélérateurs d’entreprises. Le leadership dans un secteur ne se décrète pas, cela se construit.
Bio-express
Khaled Igué est béninois, fondateur et Président du think tank Club 2030 Afrique. Il a rejoint OCP International comme directeur des Partenariats Publics et Institutionnels après une expérience chez Eurogroup Consulting, un des leaders européens en stratégie et Organisation, et une expérience chez AREVA. Khaled Igué est diplômé d’un master en Affaires Publiques, Potentiel Afrique de Sciences Po Paris, d’un Master en Economie de l’Université de Paris I Panthéon Sorbonne, d’un Diplôme d’Ingénieur en Génie Civil de l’Institut National des Sciences Appliquées de Strasbourg.
Khaled Igué est young Leader (2017) de la Fondation Africa France et Emerging Leader (2016) de la German Marshall Fund des Etats Unis.