Les chiffres sont accablants : 60 % des fonds d’investissement censés financer les entreprises et infrastructures en Afrique sont domiciliés hors du continent. Cette réalité, tirée d’une étude commandée par la Fondation MasterCard et réalisée par des experts internationaux, révèle une situation paradoxale : alors que l’Afrique regorge de potentialités économiques et de ressources, une grande majorité des investissements destinés à son développement restent prisonniers des paradis fiscaux et des centres financiers mondiaux tels que le Luxembourg, le Delaware ou Dublin.
Cette hémorragie financière ne fait que souligner un problème structurel majeur : le manque d’attractivité du continent africain pour les investisseurs. Ce dernier est souvent perçu comme un terrain incertain en raison de ses défis économiques, politiques et juridiques. Si l’on se tourne vers des places comme Luxembourg, deuxième hub mondial de fonds avec près de 5000 milliards de dollars d’actifs sous gestion, il est facile de comprendre l’attrait de ces juridictions : des régulations souples, une fiscalité avantageuse et une sécurité juridique assurée. À l’inverse, de nombreux pays africains souffrent de bureaucratie lente, de lois peu claires, et d’instabilités macroéconomiques qui, au lieu d’attirer les investisseurs, les incitent à chercher des alternatives ailleurs.
Quelques rares pays montrent la voie
Les conséquences sont dramatiques pour le continent. En dépit de son potentiel économique et de sa population jeune et dynamique, l’Afrique continue de peiner à mobiliser les fonds nécessaires pour soutenir ses PME, qui représentent 80 % de l’emploi formel, mais qui, faute de financement, ont du mal à se développer. Le déficit de financement des PME atteint ainsi 940 milliards de dollars, créant un cercle vicieux où le manque d’investissements freine la croissance, et cette dernière à son tour éloigne les capitaux. Il est grand temps de rompre ce cycle.
Cependant, tout n’est pas perdu. Certains pays africains, tels que l’île Maurice, l’Afrique du Sud et le Rwanda, montrent qu’il est possible de renverser la tendance. Maurice, avec ses régulations claires et sa fiscalité favorable, a réussi à attirer près de 20 milliards de dollars d’investissements. L’Afrique du Sud, malgré ses défis politiques et économiques, reste un acteur clé grâce à son secteur financier solide, et le Rwanda, en misant sur la spécialisation, notamment dans les secteurs de la technologie et de l’impact social, commence à récolter les fruits de sa politique d’ouverture aux capitaux étrangers.
Mais ces exemples demeurent trop isolés face à l’immensité des besoins du continent. Le Nigeria, par exemple, n’a toujours pas trouvé la recette pour attirer des fonds malgré ses immenses ressources publiques.
Fonds de pension africains !
D’autres pays, comme la Côte d’Ivoire ou le Togo, tentent également de se positionner comme des hubs régionaux, mais leurs progrès restent encore timides. Pourtant, l’Afrique possède une ressource majeure qui pourrait changer la donne : ses fonds de pension. Avec des centaines de milliards de dollars d’actifs sous gestion, dont 500 milliards en Afrique du Sud et 33 milliards au Nigeria, ces fonds restent largement sous-exploités. Ils pourraient pourtant constituer un levier formidable pour financer des PME, des infrastructures ou des projets d’innovation sur le continent. Selon des projections, leurs actifs pourraient atteindre 7 300 milliards de dollars d’ici 2050, une manne considérable qui pourrait transformer l’économie africaine, à condition qu’elle soit mieux orientée et utilisée.
Pour que cette transformation soit possible, il est impératif que les pays africains simplifient leurs lois, sécurisent les contrats et encouragent l’utilisation des ressources locales. Les caisses de sécurité sociale, les fonds de pension et les banques publiques de développement, qui gèrent des milliards de dollars, doivent jouer un rôle moteur dans la redynamisation de l’économie. En mobilisant ces ressources, l’Afrique pourrait non seulement diminuer les risques perçus par les investisseurs étrangers, mais aussi renforcer sa propre résilience économique.
L’Afrique ne doit plus se contenter de regarder ailleurs en espérant que les investissements viendront d’eux-mêmes. Les exemples de Maurice, de l’Afrique du Sud et du Rwanda montrent que des réformes structurelles intelligentes et une volonté politique claire peuvent inverser la tendance. Mais tant que la majorité des fonds destinés à l’Afrique continueront à être domiciliés dans des juridictions extérieures, le continent continuera de financer sa propre marginalisation.
Il est temps que l’Afrique cesse de laisser les autres écrire son avenir économique. Elle doit prendre les choses en main et récupérer les ressources financières qui lui sont dues. Un continent aussi riche en potentiel, en talents et en ressources ne peut plus se permettre d’attendre. Le temps est venu de briser les chaînes qui l’empêchent de prospérer.