
Avocat, Arbitre CCJA,
Membre de la Cour d’Arbitrage de la CCI
Managing Partner, GENI & KEBE
Mouhamed Kebe
Avocat-Associé Géni & Kebé
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Le 26 Aout 2019, le Tchad a promulgué la loi n°036/PR/2019 relative au secteur de l’énergie électrique. Cette loi abroge toutes les dispositions antérieures contraires, notamment les dispositions de la loi 99-014 du 06 Juin 1999 relative à la production, au transport et à la distribution de l’énergie électrique.
La nouvelle loi s’applique aux exploitants de l’électricité et aux propriétaires d’installations électriques en activité qui sont tenus de s’y conformer dans un délai n’excédant pas un an. Même si la loi ne l’indique pas, ce délai devrait courir à partir de son entrée en vigueur ou à partir de la date de sa promulgation. La loi précise néanmoins que les licences de production des installations existantes, régulièrement établies à la date de publication de la loi, sont réputées acquises. De même, les propriétaires des réseaux de distribution existants à la date de promulgation de la loi sont considérés comme titulaires de licences de distribution. Dans les deux cas, les personnes concernées sont tenues de se déclarer auprès du Ministre en charge de l’énergie.
La nouvelle loi vient modifier fondamentalement le cadre normatif et institutionnel régissant le secteur de l’énergie électrique au Tchad en allant de la mise en place de régimes de licences au renforcement du rôle de l’autorité de régulation en passant par la protection de consommateurs. Elle consacre notamment la libéralisation du secteur de l’énergie électrique qui était longtemps sous le monopole de l’Etat tchadien à travers sa société nationale de l’Electricité (SNE). La loi s’inscrit également dans une optique de renforcement de l’accès à l’électricité au regarde de l’objectif gouvernemental d’atteindre 50% à l’horizon 2030.
Outre son caractère exhaustif (120 articles contre 86 pour l’ancienne loi), la nouvelle loi est suivie de plusieurs décrets d’application dont le Décret n° 1841 /PR/MPME/2019 fixant les conditions et modalités de délivrance de licence de production de l’électricité et le Décret n°1862 /PR/MPME/2019 portant organisation et fonctionnement de l’Autorité de Régulation du Secteur de l’Energie Électrique (ARSE).
La présente étude revient sur les innovations majeures apportées par la loi de 2019 et dresse un tableau synoptique et comparatif reprenant les principales évolutions règlementaires observées entre 1999 et 2019.
I- Champ d’application et terminologie
Le champ d’application de la nouvelle loi est élargi à de nouvelles activités qui n’étaient pas prises en compte par l’ancienne législation. La loi de 2019 prend en compte ainsi les activités de production, de transport et de distribution de conduite, d’importation, d’exportation et de vente de l’énergie électrique sur l’ensemble du territoire national. Elle comprend en outre de nouvelles dispositions relatives à la maitrise et l’efficacité énergétique.
Si la nouvelle loi vise globalement l’énergie électrique de source renouvelable ou non, elle exclue expressément de son champ d’application de l’énergie électrique d’origine nucléaire ainsi que celle se rapportant à la défense nationale et à la sécurité de l’Etat.
Du point de vue terminologique, la nouvelle loi prévoit de nouvelles définitions facilitant ainsi la compréhension de la législation applicable. Il s’agit entre autres des notions suivantes : audit énergétique, autoproduction, code de conduite, consommateur, déclaration, efficacité énergétique, énergies renouvelables, licence, maîtrise de l’énergie, performance énergétique.
II- Principes généraux de régulation du secteur de l’énergie électrique.
La nouvelle loi réaffirme la nature de service public des activités de production, de transport, de la distribution, de la conduite, de l’importation, de l’exportation et de la vente de l’énergie électrique et reconnait au même moment le droit à l’électricité pour tous dans le but de garantir l’approvisionnement en électricité sur l’ensemble du territoire national. Elle précise également, contrairement à l’ancienne loi, que seules les personnes physiques ou morales de droit privé ou de droit public titulaires de licences sont autorisées à exercer ces activités. Il convient de noter que le mécanisme de la licence participe de la stratégie de libéralisation du secteur de l’énergie électrique sur toutes les phases de réalisation de projets énergétiques.
III- Cadre institutionnel
Contrairement à l’ancienne législation qui identifie l’organe de régulation comme le principal acteur du secteur de l’Énergie Électrique, la nouvelle loi étoffe la liste des acteurs intervenant dans le secteur de l’énergie.
Il s’agit notamment du gouvernement, de l’autorité de Régulation du Secteur de l’Énergie Électrique, de la Société Nationale d’Electricité, l’Agence pour le Développement de l’Électricité Rurale et de la maîtrise de l’Energie, des collectivités territoriales ainsi que des personnes Physiques ou morales auxquelles le service public de l’électricité est délégué.
Il convient de noter que l’organe de régulation dénommé l’Autorité de Régulation du Secteur de l’Electricité dispose désormais des attributions élargies allant de la promotion du secteur à la protection de consommateurs en passant par la régulation des rapports entre les acteurs privés tout en disposant d’un pouvoir de sanction en cas de violation des règles applicables.
IV- Activités du secteur et régimes juridiques applicables
Les activités du secteur de l’Énergie Électrique sont soumises à des régimes juridiques exhaustifs.
Production
La loi précise que les activités de production de l’énergie électrique sont ouvertes à la concurrence conformément aux dispositions légales applicables. Ainsi, les installations de production de l’énergie électrique sont réalisées et exploitées par toute personne physique ou morale de droit privé ou de droit public. Ces personnes doivent au préalable obtenir une licence conformément aux dispositions légales applicables et notamment celles du décret n° 1841 /PR/MPME/2019 fixant les conditions et modalités de délivrance de licence de production de l’électricité.
Il convient de noter cependant que les installations d’autoconsommation de moins d’un (1) MW sont dispensées de licence de production. Elles sont soumises néanmoins à une déclaration préalable au régulateur. De même, l’autoproduction est soumise à un régime particulier.
Transport
Le transport d’électricité désigne le transport de puissance électrique et d’énergie sur un réseau de transport.
Le réseau de transport contrairement à la production ne fait pas l’objet d’ouverture et de mise en concurrence. Il fait l’objet d’un monopole naturel. Sa gestion est assurée par un opérateur unique. Toutefois, cet opérateur peut conclure un contrat d’affermage avec toute personne physique ou morale pour la gestion de tout ou une partie de son réseau.
Distribution
Les installations de distribution de l’électricité sont réalisées et exploitées par toute personne physique ou morale de droit privé ou de droit public. Elles sont soumises à l’obtention préalable d’une licence de distribution.
Exportation – Importation
L’exportation et l’importation de l’électricité sont réalisées et exploitées par toute personne physique ou morale de droit privé ou de droit public. Elles sont soumises respectivement à l’obtention préalable d’une licence délivrée par le Ministre Chargé de l’Énergie après avis du Régulateur.
Maîtrise de l’énergie
La maîtrise de l’énergie couvre tout projet, programme ou mesure concourant à réaliser des économies d’énergie au niveau national par l’amélioration de l’Efficacité énergétique des activités socio-économiques ou par recours aux énergies renouvelables. Elle vise à rationaliser la consommation de l’énergie produite et contribue en outre incidemment à la protection de l’environnement.
Contrairement à l’ancienne loi qui est quasiment muette sur la question, la loi de 2019 prévoit un régime exhaustif allant des actions d’efficacité énergétique légalement préconisées à la mise en place d’une agence spécifique dédiée à la maitrise de l’énergie.
V- Dispositions comptables et fiscales
Contrairement a l’ancienne loi qui soumet expressément et principalement les délégataires du service public de l’énergie électrique à la fiscalité de droit commun, la loi de 2019 ne prévoit pas de régime fiscal spécifique pour les activités relevant de son champ d’application à l’exception de mesures fiscales incitatives pour les activités liées à la maitrise de l’énergie électrique. Devant ce mutisme légal, on peut légitimement considérer que les diverses activités concernées seront régies par la fiscalité de droit commun et notamment les dispositions du Code General des Impôts.
Du point de vue comptable, la loi prévoit un régime spécifique. Désormais, les opérateurs, dans une logique de transparence, tiennent dans leur comptabilité interne, des comptes séparés pour leurs activités de production, de transport et de distribution. Aussi, précise la loi, les comptes annuels des opérateurs doivent reprendre, dans leurs annexes un bilan et un compte de résultat pour chaque catégorie d’activité, ainsi que les règles d’imputation des postes d’actif et de passif et des produits et établir les comptes séparés.
VI- Protection des consommateurs
A la différence de l’ancienne loi qui prévoit de dispositions éparses relatives à la protection de consommateurs, le nouveau dispositif consacre un titre spécifique y relatif.
La loi prévoit désormais une série de normes et procédures que le régulateur devra développer, en relation avec les titulaires de licences. Il s’agit notamment de :
- a) normes de service à la clientèle;
- b) normes et procédures de traitement des plaintes des consommateurs;
- c) procédures pour traitement de dossiers et aide, le cas échéant, aux consommateurs ayant des difficultés à payer leurs factures;
- d) procédures de demande de service d’électricité;
- e) procédures de suspension de la fourniture d’électricité aux clients qui ne paient pas leurs factures ou pour ceux qui violent les termes et conditions d’un tarif ou d’un contrat applicable;
- f) informations à fournir au Consommateur et leurs modes de diffusion.
Le nouveau dispositif s’inscrit dans la perspective de renforcement de la protection de consommateurs au regard de nombreuses insuffisances constatées dans le secteur de l’électricité au Tchad (délestage, problèmes de facturation, déficit de communication, etc.).
VII- Règlement de différends & Sanctions applicables
La fonction de règlement de différends est principalement dévolue à l’Autorité de Régulation du Secteur de l’Electricité (ARSE). Celle-ci a compétence exclusive en matière de litiges et procédures concurrentielles relative aux licences ou tout autre contrat relatif au secteur de l’énergie électrique de même qu’en matière de litiges relatifs aux procédures d’appel d’offres dans le cadre d’attribution de licences de production.
L’Autorité de Régulation du Secteur de l’Electricité (ARSE) enregistre et instruit les litiges qui ne le mettent pas en cause et qui lui sont soumis par des consommateurs, opérateurs et actionnaires.
Il convient de noter qu’outre les attributions de l’Autorité de Régulation du Secteur de l’Electricité en matière de règlement de différends, les juridictions étatiques demeurent compétentes notamment en matière pénale.
Du point de vue de sanctions, il convient de noter qu’il existe désormais deux types de sanctions applicables contraire à l’ancienne loi qui prévoyait principalement de sanctions pénales :
Sanctions administratives : Ces sanctions sont celles qui peuvent être prononcées par l’autorité de régulation. Ces sanctions se traduisent par ordre de cessation de service ou amende n’excédant pas 50 millions en cas d’abus sur le marché. L’autorité peut aussi prononcer des sanctions pécuniaires pour divers motifs (défaut de déclaration, défaut d’autorisation, défaut d’homologation des installations intérieur…).
Ces sanctions varient en fonction de la nature de l’infraction et peuvent s’élever jusqu’à 15 millions.
Sanctions pénales : Ce sont des sanctions qui ne peuvent être prononcées que par les tribunaux judiciaires. Elles varient en fonction de l’infraction et sont passibles de peines allant de 3 mois au minimum à 5 ans maximum et d’amende allant de 500 000 à 5 000 000. A ce niveau, il convient de noter que les montants des amendes prévus sont relativement plus importants que ceux arrêtés dans l’ancienne loi.
Ces deux types de sanctions, précise la loi, peuvent être appliquées l’une sans préjudice de l’autre.
En définitive, la nouvelle loi rénove substantiellement le cadre juridique régissant le secteur de l’énergie électrique au Tchad en se voulant attractive, transparente et protectrice des intérêts de consommateurs et du marché de l’électricité.
