La caste des griots continuent de jouer un rôle important dans certaines sociétés traditionnelles en Afrique de l’Ouest
«Heureux, suis-je d’avoir plus appris sur les lèvres de ma mère que dans les livres.» Voilà ce que rapporte Le Père Jésuite Marcel Jousse, chercheur. Il est l’initiateur d’une anthropologie du geste, où il étudie le rapport du geste avec les mécanismes de la connaissance. Enfant sur les genoux d’une mère paysanne quasi-illettrée et douée d’une étonnante mémoire. Sa mère récitait, en les rythmant et en les balançant, des traditions orales
La prise de conscience de ce bercement maternel initia l’enfant aux mécanismes anthropologiques, repérables principalement dans les milieux où domine le style oral.
C’est à l’école de Nouans (province du Maine, France) qu’il apprend à lire et à écrire. Un vicaire l’initie alors aux langues anciennes et découvre la prodigieuse faculté de Marcel Jousse à retenir les mots et les sons. Il publie son œuvre fondatrice «Le style oral rythmique et mnémotechnique chez les verbomoteurs.»
Il devient un spécialiste reconnu de l’étude du style oral, du rythme et du geste. Il sera professeur à La Sorbonne de 1932 à 1957 (faisant salle comble durant toutes ces années) ou encore à l’École d’anthropologie de Paris.
«Le village où le savoir, le savoir-faire et le savoir-être ne font qu’un. Bienvenue dans le royaume de la parole incarnée !»
C’est en ces termes que le conteur Kientega PINGDEWINDE GÉRARD (KPG) du pays des hommes intègre, Le Burkina Faso s’exprime. Il est issu de la caste des forgerons et fils d’un orateur de masques. Il est attentif à l’esthétique des symboles, des images et des expressions. Il fonde son travail sur l’utilisation des sonorités et des métaphores de la culture mooré. Puis, dans un second temps, il traduit son texte vers la langue française, se servant ainsi des différences polysémiques entre les langues pour enrichir son univers et ses histoires. Il cite par exemple l’emploi de certaines interjections en langue mooré qui doivent donner lieu à des développements plus longs et descriptifs en langue française, un univers fantastique. Harmonie du plurilinguisme et de la polysémie.
Une jeune femme qui a grandi au milieu des contes et des légendes.
Hanna Samira Moumoula est une jeune femme. Elle a grandi au milieu des contes et des légendes. Après de brillantes études, Hanna rejoint KPG. Sous sa tutelle, elle a appris à tisser des histoires riches en émotion et en tradition. Le 02 août 2023, lors des IXes Jeux de la Francophonie à Kinshasa, Hanna a eu l’opportunité de partager son art avec le monde entier. Elle a captivé le public, elle surclassa le Niger, la RDC et le Canada, lui valant ainsi la médaille d’or dans la discipline Contes et conteurs.
Une jeune femme ambassadrice de bonne volonté de l’UNESCO ?
Étrangement des 60 ambassadeurs de bonne volonté nommés par l’UNESCO, seulement 4 personnalités sont originaires du continent africain.
Même si la sélection du panel est dictée pour des choix éminemment politiques et respectables, il conviendrait de renouveler les dispositions de cooptation en faisant appel, entre autres, à la Société civile, la conteuse Hanna étant en lien avec les réalités de terrain, du quotidien des peuples de la terre rouge du Burkina Faso.
La situation de péril de la tradition orale africaine qui est une partie essentielle du «patrimoine immatériel» de l’humanité de L’UNESCO. plaide avec vigueur pour une meilleure compréhension de la culture africaine qui n’est ni un exotisme, ni un folklore, mais bien le véhicule d’une philosophie multimillénaire profonde.
Pourquoi les pays africains francophones ne pourraient-ils pas s’entendre pour définir le champ exhaustif de ce que peut apporter à l’humanité l’entité africaine ?
Légitimement, le Burkina Faso ne pourrait-il pas proposer la conteuse Hanna SAMIRA MOUMOULA, comme ambassadrice de bonne volonté de l’UNESCO ?
Trois questions à Hanna Samira Moumoula, artiste conteuse burkinabè
«Le conteur joue un rôle important dans la préservation et la transmission du patrimoine culturel du pays»
AFRIMAG : Quelle est la situation des arts de la parole et plus particulièrement des griots au Burkina Faso ?
Hanna Samira Moumoula
Hanna Samira Moumoula :Déjà, je voudrais préciser une chose, je ne suis pas griotte parce qu’on ne devient pas griotte, on naît griotte. C’est un héritage familial qui est transmis de génération en génération et implique une lourde responsabilité. Et tous les conteurs ne doivent pas être considérés comme des griots. Moi par exemple, j’ai commencé le conte par admiration, ensuite, cette admiration s’est transformée en passion. Et pour répondre à la question en ce qui concerne le Burkina Faso, les arts de la parole occupent une place prépondérante dans la culture burkinabè. Le conte, en particulier, est un art traditionnel très apprécié ici. Il joue un rôle important dans la préservation et la transmission du patrimoine culturel du pays. Et le conteur est un véritable artiste qui sait captiver son public avec ses récits. Il utilise sa voix, ses gestes et son expression pour donner vie aux personnages et aux événements racontés. Les contes abordent des thèmes variés tels que l’histoire du pays, les valeurs traditionnelles, les légendes et les fables morales. Et maintenant, plus ce que jamais, le conte occupe une place indispensable, je dirais, car au-delà de l’aspect ludique, il a aussi une fonction pédagogique et est vraiment un moteur de consolidation de paix et de cohésion sociale. Grâce à des conteurs comme Son Excellence SanabaBounda de Arbollé connu sous le nom de KPG conteur ou encore leur Excellence Toudeba Bobelle, Sidiki Yougbare, Mariam Koné, et plusieurs autres conteurs qui ont travaillé de sorte que l’oralité a su résister au temps malgré l’insuffisance d’engouement autour du conte ou des activités qui le touche.
AFRIMAG : Que faudrait-il envisager pour que l’oralité redevienne universelle ?
Hanna Samira Moumoula : Ce n’est peut-être pas une opinion partagée, mais à mon avis, le conte n’a pas perdu son universalité. Il faut aller hors de chez soi pour se rendre compte de la beauté de cet art et de l’importance qu’accorde le public à cette merveille qu’est le conte. Vieux, jeunes ou encore les tout petits enfants, tout le monde se reconnaît à travers des récits créés sous la coupe de la réalité sociale ou encore des légendes très appréciées par les enfants. Dans le monde entier, il y a des spectacles de contes, des compétitions, des résidences de créations de conte. Dans le monde entier, il y a des histoires à partager, à faire entendre ; le conte est partout, autour de nous. Même à la maison, je prends l’exemple des parents souvent qui racontent des histoires aux enfants pour qu’ils s’endorment ou pour qu’ils retiennent une leçon, une morale de vie. Il n’est peut-être pas fait sous la forme officielle de spectacle, mais c’est du conte. C’est exprimer ses émotions, c’est faire participer son public ou son interlocuteur. Alors il est universel le conte. Comme suggestion, pour qu’il reste tel, ce serait de continuer à le promouvoir, le valoriser et l’adapter en fonction de l’évolution du temps et des générations pour ne pas se perdre dans une monotonie quitte à éteindre toute la magie qu’il y a autour et tel que nous l’avons connu depuis nos grands-parents.
AFRIMAG : Dans les sociétés traditionnelles, les conteurs ont une éminente place de sage, de conseiller… Comment l’envisagez-vous dans l’Afrique francophone d’aujourd’hui et de demain ?
Hanna Samira Moumoula :Dans l’Afrique francophone d’aujourd’hui et de demain, je pense que les conteurs et conteuses conservent une place importante en tant que transmetteurs de savoirs, d’histoires et de traditions. Ils occupent toujours une position de sages et de conseillers dans de nombreuses communautés, bien que leur rôle puisse avoir évolué en raison des changements sociaux, culturels et technologiques.
Les conteurs et conteuses doivent continuer à jouer un rôle clé dans la préservation et la valorisation du patrimoine oral africain, en transmettant des récits traditionnels, des légendes et des contes, car leur art permet de conserver la mémoire collective, de transmettre des valeurs et des enseignements, de rappeler l’importance de la tradition et de l’histoire.
En plus, ces gardiens de l’histoire doivent être des promoteurs de la langue et de la culture africaine, mais sans oublier d’utiliser le français comme moyen d’expression compris par des millions de personnes à travers le monde. Ils peuvent ainsi contribuer à la diversité culturelle et linguistique en partageant leurs histoires avec un public plus large, aussi bien dans les communautés locales qu’à l’échelle nationale et internationale.
Je pense également que les conteurs et conteuses peuvent s’adapter aux nouvelles technologies et aux médias modernes pour toucher un public plus large et plus jeune. Je donne cet avis parce que je fais partie de cette génération qu’on appelle «Génération tête baissée» alors je dirais qu’ils peuvent utiliser les réseaux sociaux, les plateformes de vidéos en ligne et les applications pour raconter leurs histoires de manière interactive et attrayante, tout en préservant et en mettant en valeur la richesse des cultures africaines en vue de montrer toute la splendeur et la modernité que le conte peut avoir.
Pour terminer, même si la société évolue et que les modes de communication changent, les conteurs et conteuses restent des figures importantes dans les sociétés africaines francophones, en tant que gardiens de la tradition, transmetteurs de savoirs et créateurs d’histoires qui continuent d’inspirer et de guider les générations présentes et futures.