L’idée que l’Afrique puisse faire un « leapfrog » (saut technologique ou comportemental) dans le domaine de la Responsabilité sociétale des entreprises (RSE) et du développement durable est non seulement plausible, mais de plus en plus discutée. Ce concept fait référence à l’idée qu’un continent ou un pays en développement pourrait éviter certaines phases traditionnelles du développement, souvent coûteuses et inefficaces, pour adopter directement des solutions plus durables, innovantes et inclusives. Pour l’Afrique, ce saut pourrait lui permettre de jouer un rôle de leader mondial dans ces domaines. De nombreuses entreprises, comme le groupe Axian, Sifca ou NSIA, sont d’ailleurs déjà dans la mise en application de ces approches
Examinons les atouts et les défis de cette perspective de leadership. Concernant les atouts de l’Afrique pour le leapfrog de l’impact, le continent possède plusieurs avantages stratégiques pour permettre de faire ce saut dans la RSE. La richesse en ressources naturelles et énergies renouvelables en est un. Des pays comme le Kenya, avec sa géothermie, ou l’Égypte et le Maroc, pionniers en énergie solaire, montrent qu’il est possible de dépasser l’étape des infrastructures fossiles coûteuses pour investir directement dans les renouvelables. Cette transition énergétique pourrait servir de modèle au reste du monde.
Innovations technologiques africaines
L’innovation technologique est également un levier puissant. L’Afrique a déjà démontré sa capacité à innover rapidement et à adopter des technologies de manière transformatrice, comme avec le M-Pesa (système de paiement mobile au Kenya) qui a bouleversé le secteur bancaire, by-passant l’étape des banques traditionnelles. Ce même principe s’applique déjà à des secteurs liés à la durabilité, telles que les cleantech ou l’agriculture durable. De nombreuses startups africaines se concentrent déjà sur des solutions innovantes dans les domaines de la gestion de l’eau, des énergies renouvelables, et de la gestion des déchets.
Des sociétés plus résilientes et adaptatives. Les populations africaines ont historiquement développé une grande résilience face aux nombreux défis économiques, climatiques et sociaux. Cette résilience est un moteur d’innovation dans la recherche de solutions locales adaptées aux enjeux du développement, notamment durable. De plus, l’importance des communautés et des pratiques collectives doit être une source d’inspiration pour des modèles de RSE plus inclusifs et sociaux.
La jeunesse africaine, un atout de taille
Le dynamisme des ressources humaines jeunes. L’Afrique possède un vivier de talents et de futurs leaders responsables. Les jeunes générations africaines sont plus conscientes des enjeux environnementaux et sociaux et pousseront sans nul doute à une adoption rapide des meilleures pratiques en matière de durabilité.
Cependant, pour que ce leapfrog soit possible, plusieurs défis structurels devront être relevés. L’insuffisance des infrastructures. Malgré les progrès notables, beaucoup de pays africains continuent de souffrir de manques d’infrastructures de base, notamment dans l’accès à l’eau, à l’électricité et aux transports. Ces infrastructures sont cruciales pour soutenir des projets de durabilité et de développement économique à grande échelle. Sans une amélioration rapide de ces infrastructures, il sera difficile de déployer massivement des solutions durables.
La gouvernance vertueuse
Des cadres législatifs et de gouvernance à renforcer. Les systèmes de gouvernance dans de nombreux pays africains sont encore fragiles, et le cadre législatif pour la RSE et le développement durable est parfois incomplet ou mal appliqué. Un cadre réglementaire robuste est nécessaire pour que les entreprises adoptent uniformément des pratiques responsables de manière cohérente et équitable. L’absence de telles lois et d’une administration compétente et formée peut limiter les initiatives RSE.
L’un des plus grands obstacles est le manque de financement pour les initiatives durables et la RSE. Les entreprises et gouvernements africains ont souvent du mal à accéder à des financements à long terme pour des projets d’infrastructure verte, ou pour des solutions innovantes. L’incitation, notamment fiscale, est insuffisamment développée par les agences de promotion des investissements qui devrait s’attacher à prendre en compte les enjeux ESG pour garantir toujours plus d’impacts. La dépendance à l’aide extérieure ou à des investissements étrangers peut aussi limiter la prise en compte de la durabilité dans certains projets.
Bien que le potentiel humain soit immense, le manque de formation spécialisée et de compétences dans des secteurs clés du développement durable reste un obstacle. Il est impératif de développer des systèmes éducatifs qui forment la prochaine génération de leaders et d’innovateurs en RSE, en technologies propres et en gestion environnementale.
Malgré ces défis, plusieurs facteurs indiquent que l’Afrique a une opportunité unique de devenir un leader en RSE, notamment en développant des modèles économiques et sociaux plus durables, différents de ceux des pays développés. Plutôt que de reproduire les erreurs industrielles des pays riches, l’Afrique peut capitaliser notamment sur des modèles bas carbone, avec des économies circulaires et des pratiques agricoles durables adaptées à ses spécificités pour développer des chaines de valeur durables.
Le continent africain étant l’un des plus vulnérables aux effets du changement climatique, les pays africains ont tout intérêt à devenir des champions de la durabilité. Cette urgence climatique pourrait en fait pousser les gouvernements, les entreprises et les communautés à accélérer les innovations et les pratiques durables, sous l’impulsion d’organisations régionales ou d’initiatives locales.
De plus en plus, les investisseurs mondiaux exigent des pratiques responsables et durables, en particulier dans les secteurs des ressources naturelles et de l’agriculture, qui sont essentiels pour l’économie africaine. Cette pression ne peut qu’encourager les entreprises africaines à adopter les meilleures pratiques de RSE pour attirer des capitaux tout en assurant une croissance plus équitable et durable.
L’Afrique a ainsi un potentiel réel pour faire un leapfrog en matière de RSE et de durabilité, sous réserve d’efforts concertés et de réformes structurelles importantes. Les bases sont là : une population jeune et innovante, un potentiel énorme dans les énergies renouvelables, et une capacité d’adaptation face aux défis. Si les gouvernements, les entreprises, et la société civile travaillent ensemble pour surmonter les obstacles liés à la gouvernance, aux infrastructures et à l’accès au financement, l’Afrique pourrait bien devenir un leader mondial dans la construction d’un avenir durable et inclusif.
Le leapfrog de l’impact est non seulement possible, mais pourrait être essentiel pour permettre au continent africain de trouver une place centrale dans l’économie mondiale de demain, tout en protégeant ses ressources naturelles et en créant des opportunités pour sa population.