Dans cet entretien croisé, le réalisateur François Bergeron et l’acteur principal et scénariste Basile Yawanké partagent leur expérience unique du tournage de No Blabla, une série diffusée par la chaîne de télévision productrice TV5 Monde et son application gratuite TV5MondePlus disponible sur l’App Store et Google Play. Ce projet a défié les conventions du cinéma traditionnel, avec une approche innovante qui a su capter l’attention. Entre engagement humain, conditions de tournage extrêmes et solidarité sans faille, ils racontent les coulisses d’une aventure collective où chaque moment a été à la fois une épreuve et une victoire partagée. Découvrez comment la passion, la confiance et l’authenticité ont fait de No Blabla un véritable défi artistique et humain
AFRIMAG : Pouvez-vous nous parler de la genèse de la série No Blabla ?
François Bergeron : No Blabla est née en 2018, lorsque j’ai voulu combiner trois deNmes passions : le burlesque, la science-fiction et le documentaire. Ce projet s’est développé petit à petit à travers mes expériences de travail en Afrique pendant près de 20 ans. J’ai croisé des situations qui m’ont marqué et qui ont nourri la série. Au départ, l’idée était de créer une série de courts-métrages de deux minutes. Nous avons réalisé un pilote, et c’est là que j’ai rencontré Basile lors d’un casting à Paris. Dès son arrivée, j’ai eu l’intuition qu’il était le personnage idéal pour le rôle principal.
Après le choix de Basile, nous avons tourné le pilote à Ouagadougou, avec plusieurs autres comédiens dans des rôles secondaires. Cependant, le Covid a tout interrompu. Pendant le confinement, j’ai pris la décision de réécrire des épisodes plus longs, un format plus adapté à l’évolution du projet. Cela a été bien accueilli par TV5 Monde qui nous diffuse également sur son application TV5MondePlus.
No Blabla s’inspire des grands noms du burlesque comme Charlie Chaplin et Buster Keaton, qui traitent de thèmes engagés à travers l’humour. Chaplin abordait des sujets comme la condition des femmes ou la guerre, et Keaton des questions sociales et politiques. J’ai voulu que No Blabla soit à la fois divertissant et porteur de messages forts, tout en restant fidèle à l’esprit burlesque. C’est donc un projet qui traite de sujets sérieux de manière ludique et décalée.
AFRIMAG : Quelles ont été vos principales inspirations et quelle a été la contribution de chacun d’entre vous dans l’écriture de cette série ?
François Bergeron : De nombreuses scènes viennent directement de mon expérience en Afrique, comme la scène du camion de migrants, inspirée de mes propres voyages. Ces situations réelles ont été exagérées et transformées pour créer de l’humour. Le burlesque, genre difficile, nécessite beaucoup de répétitions et de précision. L’écriture se fait aussi avec les corps des acteurs, et grâce à Basile, qui a apporté une richesse théâtrale, nous avons pu créer des moments puissants.
Le personnage de Blabla s’est construit ensemble. Basile m’a dit dès le départ qu’on allait créer un « Charlot africain ». Les répétitions et l’évolution du personnage ont permis de donner à Blabla une grande complexité, et aujourd’hui, il offre une palette de facettes qui ouvrent la voie à de nombreuses histoires.
Basile Yawanké : L’écriture a été nourrie par nos repérages en extérieur, ce qui a ajouté une dimension documentaire réaliste. Le terrain, les rencontres avec les comédiens et notre vécu commun en Afrique ont enrichi le projet. L’échange constant a été la clé. Mon expérience en Afrique a permis d’adapter des situations à des réalités africaines tout en conservant un langage universel. Cela a rendu la série plus cohérente.
AFRIMAG : Qu’est-ce qui vous a convaincu que c’était le bon projet au bon moment ?
François Bergeron : No Blabla est un projet unique, conçu pour se démarquer dans un océan de contenus et de productions actuelles. Avec la saturation des plateformes et des réseaux, l’important aujourd’hui, c’est l’écriture. Ce qui fait la différence, c’est un scénario fort avec un véritable point de vue. Ce n’est pas facile de trouver de la place pour l’innovation, surtout dans des productions normées comme les séries policières. Mais avec le soutien de TV5 Monde, nous avons eu l’opportunité de prendre un risque artistique. Je suis convaincu qu’il y a une demande pour des histoires différentes et que No Blabla saura trouver son public.
Basile Yawanké : Le « bon moment » n’existe pas vraiment pour moi. Ce qui est crucial, c’est de savoir comment aborder des problématiques comme l’immigration d’une manière originale. Le sujet est intemporel, mais il est important de le raconter sous un angle différent. Trouver la bonne approche, c’est une grande satisfaction, même si c’est un exercice complexe.
AFRIMAG : Selon vous, qu’est-ce qui distingue No Blabla des autres séries ?
François Bergeron : Le ton décalé de No Blabla nous permet d’aborder des sujets sérieux de manière légère et originale. Par exemple, nous avons traité de la condition des personnes handicapées, non pas en les mettant en avant pour leur handicap, mais en les représentant comme un gang de hackers. Cela permet de valoriser leur intelligence et leur esprit. Avec Ali Ponré, un artiste handicapé engagé, nous avons filmé un groupe de personnes handicapées qui, malgré leurs conditions difficiles, sont représentées sous un jour où leurs capacités intellectuelles et leur esprit de débrouillardise sont au centre de l’histoire.
AFRIMAG : La série ne se contente pas de divertir, elle soulève des questions profondes sur la résilience, l’identité et l’évolution de la société africaine. Comment ces thématiques se retrouvent-elles dans la structure narrative de No Blabla ?
François Bergeron : Dans No Blabla, nous abordons des thématiques profondes, comme la résilience et l’identité, en les intégrant subtilement dans l’histoire. Par exemple, le handicap n’est pas un thème central mais est traité de manière à souligner la complexité et l’intelligence des personnages, qui sont bien plus que leurs conditions physiques. Ce traitement permet au public de percevoir ces personnages sous un angle plus humain, en mettant l’accent sur leurs capacités et leur détermination.
De manière similaire, la question de la surveillance et du contrôle des individus est abordée par le biais du concept de « L’Army Code », qui représente la traçabilité des citoyens par des forces dominantes. Bien que cela soit présenté de manière presque comique à travers des personnages absurdes, cela soulève une réflexion puissante sur la réalité de notre époque, où nos actions et données sont constamment surveillées.
Ce mélange d’humour, de poésie, et de moments dramatiques permet à la série de traiter de ces sujets de manière fluide et originale, tout en maintenant un ton décalé et accessible. No Blabla explore ainsi des dimensions variées et complexes de la société moderne, tout en restant divertissante et engageante.
AFRIMAG : Dans quel état étiez-vous en co-écrivant cette série avec François ?
Quel est votre avis, en tant qu’africain, togolais, artiste et intellectuel qui a voyagé dans le monde et collaboré sur des projets à l’international sur l’immigration ? Comment voulez-vous que ce thème soit perçu par les personnes qui regarderont No Blabla ?
Basile Yawanké : J’étais dans un état d’enthousiasme et d’excitation. Lorsque François m’a proposé de participer à l’écriture de No Blabla, cela a représenté un défi captivant pour moi, une première dans le cadre de la télévision, bien que j’aie déjà une expérience dans l’écriture théâtrale. Ce projet était une opportunité d’apprendre, de grandir et de me perfectionner, notamment en abordant un format différent de ce que j’avais l’habitude de faire. L’écriture de séries impose de penser à long terme, à la manière dont les personnages évoluent et à comment garder l’intérêt du public sur plusieurs épisodes. C’était un véritable apprentissage de comment raconter une histoire à grande échelle.
En ce qui concerne le thème de l’immigration, c’est un sujet qui est intemporel et humain. Les migrations ont toujours existé, mais aujourd’hui, la manière dont ellessont perçues et racontées a un impact énorme sur la société. Mon souhait est que No Blabla apporte une compréhension plus fine et nuancée des réalités de l’immigration. Ce n’est pas simplement un phénomène géographique ou politique, mais une expérience humaine complexe, remplie de défis mais aussi de résilience et d’espoir.
À travers cette série, j’espère que les spectateurs verront l’immigration sous un autre angle, moins figé dans des stéréotypes et plus ancré dans les histoires individuelles et les aspirations humaines.
AFRIMAG : No BlaBla semble s’inscrire dans un genre de narration quasi méconnu du public africain. Comment espérez-vous que la série soit perçue par le public, en particulier les spectateurs qui vivent dans un monde globalisé ?
François Bergeron : Pour moi, l’immigration est une question universelle.
L’humanité s’est toujours déplacée, et ce n’est qu’à un moment donné de notre histoire que l’on an mis en place des frontières. Le problème aujourd’hui, c’est qu’on a créé des limites géographiques, mais l’humanité, dans son essence, a toujours cherché à se déplacer, à explorer de nouveaux horizons.
Je pense que l’immigration est un phénomène global qui doit être abordé de manière collective. La série No Blabla propose un regard sur cette problématique d’une manière humaine et réaliste, mais avec une approche narrative originale qui pourrait surprendre, surtout dans le cadre africain.
Les spectateurs doivent comprendre que ce n’est pas seulement une question de frontières géographiques, mais de frontières humaines, économiques, et sociales.
Ce phénomène d’immigration doit interpeller chaque citoyen, que ce soit en Afrique, en Europe, ou ailleurs.
AFRIMAG : François, pouvez-vous nous parler de la collaboration avec Basile en tant qu’acteur principal, pour le rôle de Blabla ?
François Bergeron : Ma rencontre avec Basile lors du casting a été marquante.
Lors de l’exercice du casting, il est arrivé, habillé d’une petite salopette. À un moment, je lui ai demandé de jouer une scène de drague en muet avec une assistante. Ce qu’il a fait m’a totalement époustouflé. Il a sorti une bombe aérosol de sa salopette, s’en est mis sur le torse, en an mis un peu dans son pantalon, et puis a ouvert la bouche pour en mettre dedans aussi. Ce geste complètement absurde et burlesque m’a immédiatement frappé. Je savais que c’était lui, le comédien qu’il me fallait. Il apportait déjà une idée très précise du personnage, tout en étant dans l’esprit que je recherchais : une forme de burlesque, mais avec une grande sincérité.
Travailler avec Basile, c’est une expérience très enrichissante. Il s’investit pleinement dans chaque scène, répète sans relâche, et crée son personnage. Le personnage de Blabla, grâce à lui, est devenu puissant, complexe, fragile et rusé, mais également très humain.
Ce travail d’acteur fait toute la différence. L’écriture de la série en est impactée, car dès lors que l’on connaît l’incarnation du personnage, on écrit différemment. Basile a vraiment donné une dimension particulière à Blabla.
Basile Yawanké : Le burlesque, c’est un exercice très complexe pour un comédien.
L’humour naît lorsque le personnage suit un objectif réel, mais de manière décalée, sans chercher à jouer le décalé. C’est là que réside la difficulté. Le comédien doit être sincère dans son approche du personnage, même si le spectateur perçoit ce qu’il fait comme décalé. L’humour dans No Blabla naît de ces moments de décalage, où le personnage est à la fois sincère dans ses intentions et totalement extravagant dans ses actions.
AFRIMAG : Quel a été l’impact de la série sur vous en tant que co-auteur ? Y a-t-il eu des moments qui vous ont particulièrement marqué pendant le tournage de la série ?
François Bergeron : Les tournages ne se passent jamais comme prévu. Ce qui m’a marqué, c’est qu’il n’y a pas eu un jour sans aventure, et surtout une aventure collective. Ce projet a été une expérience humaine partagée entre des comédiens solidaires et des techniciens de différentes nationalités. Nous avons tourné dans des conditions difficiles, parfois dans le froid et entourés de détritus, mais la solidarité de l’équipe a fait toute la différence. Nous avons voulu filmer dans des lieux réels, loin des décors de studio, pour apporter de l’authenticité à la série. Malgré tout, nous avons été solidaires pour mener à bien cette aventure.
Basile Yawanké : Ce projet a aussi été marqué par une adhésion collective forte. Malgré les conditions difficiles, chacun a fait preuve de générosité. Le lien de confiance entre les membres de l’équipe s’est installé rapidement, ce qui était essentiel, notamment pour un genre comme le burlesque. En tant que comédien, j’ai trouvé cela émouvant de tourner dans des lieux difficiles, comme un dépotoir, mais l’engagement de l’équipe a été touchant.
Entretien réalisé par Charles Agbo