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Grand entretien : Abderahim Bireme Hamid, Secrétaire Exécutif de l’Autorité du Bassin du Niger

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Revêtant une importance capitale pour les populations riveraines et les économies de ses 9 pays membres, l’Autorité du Bassin du Niger (ABN), a connu des difficultés managériales, n’arrivait plus à remplir ses multiples fonctions vitales tant pour l’alimentation en eau que pour le développement de nombreuses activités économiques. A la tête de l’institution depuis 18 mois, Abderahim Bireme Hamid a permis à l’ABN de sortir la tête de l’eau du fleuve Niger.

Dans ce grand entretien accordé à AFRIMAG lors du Sommet international sur la sécurité hydrique à Marrakech du 01 au 03 octobre 2019, le Secrétaire Exécutif de l’Autorité du Bassin du Niger, explique comment l’organisme qu’il dirige désormais a été repositionné pour arriver à gagner la confiance des Etats membres et des partenaires techniques et financiers. Entretien.

 

Un nouveau souffle pour l’Autorité du Bassin du Niger

 

AFRIMAG : L’Autorité du Bassin du Niger (ABN) est l’une des plus anciennes organisations intergouvernementales africaines si l’on fait remonter sa création à 1964 à Niamey sous sa forme originale qui était la Commission du Fleuve Niger. Vous êtes à sa tête depuis plus d’un an. Dans quel état avez-vous trouvé cette institution?

Abderahim Bireme Hamid, Secrétaire Exécutif de l’ABN

Abderahim Bireme Hamid, Secrétaire Exécutif de l’ABN

AbderahimBireme Hamid : Je remercie AFRIMAG de m’avoir donné cette opportunité de m’exprimer sur le fleuve Niger. D’emblée, je vous rappelle que ma prise de fonction date du 12 mars 2018. Et comme vous l’avez bien indiqué dans votre question, l’organisation sur le bassin du fleuve Niger a été créée en 1964. Depuis lors, elle a subi plusieurs évolutions aussi bien au niveau de sa mission que celui de son appellation, pour devenir l’Autorité du Bassin du Niger (ABN), avec 9 pays dans le bassin actif. A mon arrivée, j’ai trouvé cette institution dans un état catastrophique. Pour ne pas dire au point mort par euphémisme. Elle faisait du surplace. En attestent plusieurs raisons parmi lesquelles la mésentente entre le personnel et le Secrétariat Exécutif, le sous effectif, la mésentente entre le Secrétariat et les partenaires techniques et financiers, voire aussi la mésentente entre le Secrétariat et certains pays membres de l’organisation. Il faut ajouter à cela la crise financière représentée par les dettes accumulées auprès des fournisseurs et le personnel en termes d’avantages sociaux. Au niveau de la gestion, cette crise s’est traduite par l’absence d’audits de compte pendant 4 années au moins. Pour trouver des solutions pérennes, nous avons fait le constat avec les cadres de la structure. Et la question que j’ai posée au personnel est la suivante : « êtes-vous intéressés par le redressement de la société ou sa liquidation ? ». L’unanimité sur la sauvegarde de l’organisation passe de commentaire. Je leur ai donc fait savoir qu’ils avaient des sacrifices à faire.

Quelle a été la nature de ces sacrifices ?

Je leur ai promis un plan en 48h. En effet, je me suis présenté avec une matrice d’actions à réaliser. D’abord, au niveau interne, je leur ai fait savoir qu’il fallait tourner la page. Ensuite, étant en sous effectif, nous ne pouvons pas seulement nous limiter aux heures de travail. Il va falloir donc augmenter la cadence par des heures supplémentaires non rémunérées. Pour ce faire, nous avons à notre disposition les nouveaux outils de communication pour échanger à tout moment. Enfin, j’ai imposé des consultations régulières pour évaluer la situation de l’institution. Ceci nous a permis de cheminer vers une assemblée générale du retour de laquelle, nous avons entrepris des démarches auprès des pays membres et vers les partenaires techniques et financiers dont le chef de file n’est autre que la Banque mondiale. Nous avons également renoué le contact avec tous les ambassadeurs des pays membres accrédités à Niamey et les partenaires techniques et financiers de l’ABN sur place pour se retrouver. Cette initiative a été saluée par les uns et les autres.

Abderahim Bireme Hamid, Secrétaire Exécutif de l’ABN

Abderahim Bireme Hamid, Secrétaire Exécutif de l’ABN

Donc, il va falloir désormais évoluer dans la transparence totale …

De cette situation catastrophique que j’ai héritée, particulièrement la non réalisation des audits des comptes des trois exercices, il est difficile de nous faire confiance. Je leur ai également dit de me permettre de tenter de résoudre ce problème. Après ce compromis, je suis aussitôt retourné vers les pays membres. J’ai pu rencontrer quelques Chefs d’Etat dont les Présidents Mouhammadou Issoufou du Niger, Ibrahim Boubacar Keita du Mali, Idriss Deby Itno du Tchad et Alpha Condé de la Guinée. Je n’ai pas réussi à rencontrer les autres pour des questions d’agenda. Je profite ici pour les remercier tous de leur disponibilité et de leurs conseils. Je leur ai cependant adressé des lettres en y mettant des constats pour chaque pays, à savoir les niveaux de projets en cours d’exécution, les étapes à franchir et les projets dans le pipe pour chaque pays. Comme investissements, nous avons présenté les tableaux relatifs au non paiement des contributions des Etats. Et nous avons montré à partir de ces tableaux de bord les sources des problèmes que vit l’ABN. Immédiatement, les pays ont réagi favorablement et ont réglé leurs contributions. Aussitôt encaissées, j’ai réglé les dettes, soit à peu près un demi milliard de Francs CFA. Avant d’arriver à ce stade, j’ai demandé qu’on fasse un conseil des ministres puisque le budget 2018 était en exécution. Jusqu’au mois de mars 2018, il n’y avait pas de budget à adopter. Le 6 avril 2018, nous avons organisé un conseil de ministres pour éponger le passif. Entre temps, nous avons réglé tous nos fournisseurs et régularisé la situation sociale du personnel de l’institution. Cela a motivé notre personnel. Quant aux Etats, ils ont été informés du nouvel environnement de travail de l’ABN. Comme j’avais promis aux partenaires techniques et financiers de liquider le passif, nous avons organisé avec le concours du Président du conseil des ministres, le ministre fédéral de l’Eau du Nigeria, Suleiman H. Adamou, un deuxième conseil des ministres le 6 octobre 2018.

Quelles ont été les conclusions de ce conseil des ministres ?

Nous avons réussi à avoir le quitus de la gestion des 4 années qui ont précédé ma prise de fonction et dont l’audit a été effectué. Nous avons pris l’engagement d’améliorer la gestion eu égard aux recommandations et nombreuses défaillances soulevées par l’audit. Avant d’aller en Guinée le 7 octobre 2019 pour le conseil de l’ABN, nous avons réalisé 70% des recommandations soulevées par l’audit. Et une partie des 30% partiellement. Nous n’avons pu faire les autres parce qu’ils présentent des aspects financiers compliqués. De manière globale, voilà ce que nous avons fait pour remettre l’ABN sur les rails. A ce jour, nous n’avons pas de dettes. Avec les partenaires, nous avons réussi à assainir la situation. La preuve est qu’ils ont accepté de nous accompagner avec deux importants projets : sur le changement climatique, le PIDAC, pour un montant de 232 millions de dollars US dont 80% constitué de dons. C’est un projet régional, lancé le 2 mai 2019 à Ndjamena, qui bénéficie aux 9 pays. Dans ce projet, nous sommes en discussion avancée avec le chef de file des financeurs, la Banque africaine de développement (BAD), pour lancer les activités au niveau national dans chacun des 9 pays membres.

Le deuxième projet, une nouveauté majeure, est relatif à l’eau souterraine. Celle-ci a été très négligée de telle sorte que depuis la création de l’ABN en 1964, il n’y a jamais eu un seul expert qui s’occupe de ce défi fondamental. A ce niveau, nous avons pu récolter un financement de 14 millions de dollars US pour mener des études approfondies sur la question des eaux souterraines. Les 14 millions proviennent du PNUD, de l’UNESCO, de l’ABN et de l’OSS (basé en Tunisie). Ce sont ces quatre structures qui se chargeront de l’étude qui sera lancée dans les 9 pays membres de l’ABN et 3 du Maghreb : la Mauritanie, le Maroc et la Tunisie. Le volet formation sur le bassin est envisagé dans ce financement.

En fin de mandat, quels sont les résultats concrets dont vous êtes fier ? Et qu’est-ce que vous n’avez pas pu faire pendant ce mandat ?

En réalité je complète un mandat. Avant moi, il y’avait une compatriote tchadienne, elle a rencontré des difficultés qui ont provoqué son départ. Donc, je suis là pour compléter le mandat de mon prédécesseur. Cela a été possible grâce à une proposition du Président Idriss Deby Itno, acceptée par les autres chefs d’Etat. Ce mandat doit prendre fin au 8 janvier 2020. Je n’ai que 18 mois à la tête de l’institution. Pour les résultats concrets, j’aurais aimé que le diagnostic soit fait par des tierces personnes. Mais, je dirais, comme mentionné dans mes précédentes réponses, et c’est vérifiable sur le terrain, nous avons terminé avec les conflits internes, les réunions statutaires se tiennent désormais régulièrement, les dettes accumulées depuis 2010 sont totalement liquidées, les partenaires techniques et financiers sont de retour…

Un audit a été exigé par les chefs d’Etats. Un premier examen en 2016 a été renvoyé pour un complément d’audit. Juste un mois après ma prise de fonction, nous avons relancé ce dernier audit organisationnel et institutionnel qui vient de prendre fin. Du 7 au 12 octobre 2019, nous serons à Conakry pour deux conseils des ministres. Le premier est ordinaire et concerne l’adoption du budget 2020 et le second est extraordinaire pour l’adoption de l’audit organisationnel et institutionnel. Les recommandations seront soumises au sommet des chefs d’Etat. Je pense que les décisions qui seront prises par les chefs d’Etat vont radicalement améliorer l’ABN.

Ceci étant, il faut noter que le stock du plan d’investissement est évalué aujourd’hui à 7,11 milliards de dollars US pour une période allant jusqu’à 2027. Ce plan a été fait à partir des projets présentés par les pays et agrées par le Comité régional de pilotage (CRP). On l’a transformé en un plan stratégique assorti d’un plan opérationnel et d’un plan d’investissement climat.

Quelque 7,11 milliards de dollars US, un tel montant n’est-il pas lourd à mobiliser par l’ABN dans les années à venir ?

Nous sommes devant un test que nous pouvons relever. Le projet sur le changement climatique, le PIDAC, de 232 millions de dollars US est le premier au monde sur le climat, financé par plusieurs organisations telles que le Fonds Vert. C’est un test intéressant. Si nous le réussissons, certainement cette expérience serait partagée par d’autres bassins dans le monde. Et les partenaires viendront vers nous pour nous accompagner dans les autres projets. C’est pourquoi je fais appel à tous les chargés de réalisation du PIDAC avec à leur tête la BAD d’être attentifs à ce que nous faisons. Que les échanges avec le secrétariat soient permanents. Idem pour la coordination nationale et régionale dans les 9 pays.

L’Autorité du Bassin du Niger est dans une nouvelle dynamique depuis votre prise de fonction. Quelles sont les perspectives pour cette organisation sous-régionale ?

Je souhaite que l’ABN arrive après le sommet du 7 au 12 octobre 2019 à Conakry à renforcer ses ressources humaines pour lui permettre de réaliser certains ouvrages essentiels pour la survie du fleuve. Notamment les barrages. Deux sont déjà en chantier : Kandadji au Niger et Thaousa au Mali. Fomi, le 3ème en Guinée, est en phase de mobilisation de fonds. Au niveau de la charte de l’eau, nous comptons également innover. Pour ce faire, nous nous inspirons de l’annexe sur les statuts juridiques des ouvrages structurants. Sur ce point, il y a deux façons de faire : des ouvrages communs ou des ouvrages d’intérêt commun. Concernant les ouvrages communs, il s’agira de confier la mobilisation des ressources aux Etats bénéficiaires pour la recherche des financements et l’exécution des projets. Pour les ouvrages d’intérêt commun, plusieurs pays de l’ABN se retrouvent et réalisent un ouvrage ensemble. Chacun participe proportionnellement au bénéfice qui lui revient. Parce que les bénéfices ne sont pas forcément fonction du lieu où se trouvent ces barrages. Ça peut être aussi bien en amont qu’en aval. Comme nous sommes dans un cours d’eau transfrontalier, il est indispensable et pertinent d’adopter une telle nouveauté du système. Cela suppose aussi que les banques de développement et les PTF changent de paradigme, donc leur manière de faire pour nous trouver de nouveaux produits d’investissements. Jusqu’à présent les investissements priorisés sont bilatéraux, il faut passer aux investissements multilatéraux. C’est une possibilité qui apportera à tout le monde. D’autres systèmes de financement existent tels que préleveurs-payeurs ou pollueurs-payeurs. Si nous arrivons à faire passer ces nouveautés au niveau de l’ABN, nous n’aurons plus besoin des contributions des pays pour fonctionner. Cela nous permettra de nous transformer en une structure d’investissement.

Dans quel état préparez-vous le 12e Sommet des chefs d’Etat et de gouvernement de l’ABN ? Qu’attendez-vous concrètement de ce 12e sommet ?

Que notre audit organisationnel et institutionnel soit adopté avec des recommandations claires nous permettant de les mettre en œuvre avec les contributions des partenaires. J’attends également la réussite au niveau des deux conseils des ministres la participation aussi bien des pays membres que des partenaires techniques et financiers. Que les chefs d’Etat prennent la décision de construire le siège de l’ABN parce que nous sommes dans un bâtiment d’empreint. Un siège peut nous permettre de réaliser une fondation, un musée de l’eau pour rapprocher davantage les populations des pays qui partagent le bassin.

L’expertise marocaine en matière d’eau et d’agriculture vous intéresse. Pourquoi le Maroc?

Il faut reconnaître que le Maroc a une culture de gestion de l’eau qui est ancienne. Ce pays n’a pas des cours d’eau intérieurs permanents, quand bien même, il a réussi à maîtriser les eaux de surface. En la matière, il n’y a pas beaucoup de pays qui ont cette maîtrise, hormis Israël au niveau mondial, l’Espagne en Europe et le Maroc en Afrique et dans le monde arabe. C’est pourquoi je suis très content qu’au niveau du Réseau international des organismes de bassin (RIOB) que le flambeau soit passé au Maroc. Le système d’irrigation pratiqué au Maroc intéresse l’ABN et nous allons voir dans quelle mesure avoir un partenariat avec les structures en charge des bassins au Maroc.  

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