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Rencontre avec Bertrand Badré, Directeur général de la Banque Mondiale

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« Rendre la croissance plus inclusive est pour nous une priorité pour l’Afrique »

 

Bertrand Badré

Photo licence CC par Africa Progress Panel

L’afro-pessimisme chez certains, la croissance, les programmes d’émergence, la stratégie, le suivi des projets financés à coup de millions de dollars, l’implication dans la lutte contre l’épidémie d’Ebola, la problématique de l’énergie, la tendance des acteurs financiers à ne pas investir dans certains pays émergents ou encore en développement ou les inquiétudes de l’Afrique par rapport aux réformes en cours de la régulation financière mondiale…

Bertrand Badré, Directeur général de la Banque mondiale, répond sans langue de bois, dans ce Grand Entretien exclusif accordé à AFRIMAG, et fait le point sur les grands enjeux et défis qui préoccupent l’Afrique et les Africains.

 

AFRIMAG : Voilà un refrain qui revient souvent dans les discours : « l’Afrique c’est l’avenir. C’est le continent qui a la plus forte croissance économique ». Pourtant, face à ce discours, la plupart des Africains répondent avec ironie : « la croissance, on ne la mange pas ». Qu’en pensez-vous ?

 Bertrand Badré : Oui, mais nous sommes tout de même passés d’un discours pessimiste sur la croissance en Afrique il y a une vingtaine d’années à un discours bien plus prometteur et ce à bien des égards. Au cours des vingt dernières années, la région a connu une croissance soutenue du PIB d’une moyenne de 4,4% par an et l’incidence de l’extrême pauvreté a chuté de près de 60% en 1993 à environ 47% en 2011. Bien que cette amélioration de la croissance ne soit pas homogène, le continent a démontré qu’il avait du potentiel pour croître et utiliser ses compétences et ses ressources au service de son développement.

Il existe de nombreuses success stories à travers le continent qui mériteraient d’être soulignées et qui entrent dans cette dialectique positive et valorisante pour le continent. En effet, plusieurs pays à faible revenu et ayant peu de ressources sont parvenus à maintenir un rythme de croissance de plus de 5% au cours des 15 dernières années ; c’est le cas par exemple du Burkina Faso, de l’Ethiopie, du Mozambique, du Rwanda, de la Tanzanie ou de l’Ouganda. Leur recette était la combinaison d’une bonne gestion des risques au niveau macroéconomique avec des réformes structurelles avancées ; ajoutées à un flux d’aide important et à un allégement de la dette, ces mesures ont créé l’espace budgétaire nécessaire pour renforcer les investissements publics et les dépenses sociales.

Cependant, le rythme de croissance a été trop lent pour éradiquer la pauvreté extrême. En effet, la région a atteint seulement 35% des objectifs du Millénaire pour le développement en matière de réduction de la pauvreté, tandis que cet objectif a déjà été atteint mondialement. Ce faible impact est principalement dû à une croissance modeste par habitant (1,8% par année, comparativement à 4,4% pour l’économie dans son ensemble), suite à un boom démographique (2,65% par année).

D’autre part, ce faible impact est également dû au fait que la croissance n’ait pas suffisamment profité aux pauvres. En effet, l’effet de la croissance sur la baisse de la pauvreté a été plus faible en Afrique que dans le reste des pays en développement, avec une élasticité croissance-pauvreté se situant respectivement à -0,7 et -2.

Au-delà des grandes tendances, il existe une diversité considérable d’expériences. Par exemple, une croissance de 1% du PIB par tête au Cameroun a permis de réduire la pauvreté deux fois plus rapidement qu’en Zambie. Au Burundi, l’effet de la croissance par tête sur la baisse de la pauvreté ne correspond qu’à la moitié de celle de la moyenne régionale. Dans certains cas, l’élasticité croissance-pauvreté est positive ce qui signifie que la croissance n’a pas été pro-pauvres. La qualité des données et parfois l’absence d’estimations récentes peuvent aussi expliquer ces résultats mais il est important de noter que la réduction de la pauvreté dépend également d’autres facteurs, tels que les inégalités ou les modèles de croissance sectoriels ou géographiques.

Est-ce à dire que cette croissance n’est pas partagée ? Sinon, quelles sont les recettes de la Banque mondiale ?

Je souhaite rappeler ici que nous n’opérons pas suivant des recettes toutes faites mais en nous appuyant sur des approches pragmatiques pour la lutte contre la pauvreté. La Banque mondiale a placé l’éradication de l’extrême pauvreté et le partage de la prospérité parmi ses objectifs stratégiques et toutes nos actions s’articulent autour de ces axes. Rendre la croissance plus inclusive est pour nous une priorité pour l’Afrique. Et pour atteindre cet objectif, il est nécessaire d’améliorer la productivité du secteur agricole, qui emploie environ 80% des pauvres, et de générer des richesses là où ces derniers se concentrent, c’est-à-dire en milieu rural.

La réduction de la pauvreté et la croissance des revenus passent également par la diversification économique et la création d’emplois. Les emplois dans le milieu rural étant largement dépendant des conditions climatiques, une action effective pour améliorer la résilience aux chocs climatiques et gérer les aspects de changements climatiques relève d’une priorité essentielle.

Aussi, les différents risques liés à l’insécurité, aux conflits et aux épidémies, représentent-ils des facteurs qui peuvent lourdement plomber les économies de la région. Agir sur la gouvernance institutionnelle et la participation citoyenne d’un côté et mettre en place un système de protection sociale et de soins médicaux performant seront essentiels pour désamorcer les crises.

Le capital humain enfin, qui représente la richesse de ce continent doit être valorisé à travers des programmes sanitaires et éducatifs et un accès amélioré aux services de base ; ces conditions seront les moteurs d’une croissance durable et inclusive.

 De plus en plus de pays africains lancent des programmes d’émergence. Pensez-vous que ces stratégies de développement sont pertinentes ?

L’idée d’émergence correspond à plusieurs notions, telles que la croissance du PIB par habitant, une meilleure convergence des niveaux de revenus avec les économies émergentes, la transformation économique de manière à soutenir le développement durable et la croissance inclusive ou encore l’amélioration des résultats de développement humain.
Bien que la croissance soutenue de l’Afrique sub-saharienne au cours des deux dernières décennies (4,4% en moyenne par an) a favorisé une émergence économique, on note cependant quelques bémols dans cette historique de croissance. En effet, l’augmentation du revenu par habitant n’a pas été suffisante pour réduire l’écart de croissance avec les autres pays en développement et n’a pas permis de réaliser le niveau de transformation économique qui était escompté. La preuve en est que la part de l’agriculture dans la production, comme celle de l’industrie d’ailleurs, a diminué, alors que près de 60% des emplois en Afrique et 78% des travailleurs pauvres continuent de se concentrer dans le secteur agricole.

Le fait que les pays africains tablent sur l’émergence est donc une bonne chose. Le contexte de chaque pays sera déterminant dans la conception de stratégies appropriées pour soutenir un développement durable et une croissance inclusive. L’expérience de pays qui ont réalisé des avancées rapides en matière de croissance et de transformation économique (Chine, Corée du Sud, Brésil, Inde) peut également naturellement fournir des enseignements fort utiles.

 Comment voyez-vous, par exemple, le Plan Sénégal Emergent (PSE) ?

J’ai pu mesurer l’impact de l’ambition du PSE annoncé par le Sénégal lors de mon déplacement dans ce pays en 2014. Le PSE est important pour plusieurs raisons. D’abord il s’agit d’une stratégie de croissance claire et précise, ce qui manquait dans la stratégie de réduction de la pauvreté qui existait auparavant. On ne peut pas réduire la pauvreté de façon substantielle au Sénégal s’il n’y a pas une croissance plus forte. Les secteurs prioritaires identifiés dans le PSE sont bien-fondés et cohérents avec notre appréciation des filières porteuses de croissance : l’horticulture, le riz, les mines, les télécommunications, le tourisme, parmi d’autres. L’accent mis sur les exportations est bienvenu, car la performance du Sénégal a été décevante de ce côté, et un petit pays ne peut pas avancer sans exploiter les avantages du marché mondial.

L’accent sur les réformes est aussi très important. Il existe aujourd’hui un engagement fort pour améliorer le climat des affaires, et des progrès ont déjà été enregistrés. Le succès du PSE dépendra beaucoup de la réponse du secteur privé, qui apportera le financement, l’expertise et les débouchés nécessaires pour les nouveaux investissements et l’accès aux marchés internationaux.

L’engagement pour la réforme foncière est essentiel pour le développement de l’agriculture, et donc la réduction de la pauvreté rurale.

Cette stratégie se distingue aussi par l’appropriation au plus haut niveau, ce qui n’était pas toujours le cas dans le passé. De plus, le Président a reconnu la nécessité de mettre en place un système robuste de suivi-évaluation pour assurer en la mise en œuvre rapide et effective. Beaucoup d’acteurs vous diront que la mise en œuvre des stratégies était un talon d’Achille historiquement. A travers la mise en place d’un « service delivery unit », un cadre de résultats unique et global, et des revues trimestrielles sous la direction du Président ou du Premier ministre, on peut espérer que ce problème sera réglé.

Il y a bien sûr des éléments de la stratégie qui demandent une discussion plus approfondie. Les autorités n’ont pas eu le temps d’évaluer tous les projets proposés, et il faudra faire les analyses de faisabilité et considérer les options dans certains cas avant de se prononcer de façon définitive. Les autorités en sont conscientes.

Par ailleurs, les prévisions de croissance du PIB sont très ambitieuses, et dépassent les meilleures performances du passé. C’est bien d’être ambitieux, mais si on emprunte sur la base de ses prévisions, et puis, pour une raison ou une autre, la croissance est plus basse, on peut se trouver avec un endettement trop élevé. Le Sénégal est un pays vulnérable aux chocs externes et les nouveaux projets d’investissements vont prendre du temps pour avoir un impact sur l’économie. Le pays bénéficie d’un faible risque de surendettement pour le moment, ce qui facilite son accès aux marchés financiers. Mais il sera important de stabiliser la dette par rapport au PIB au niveau actuel de 53%. L’engagement des autorités sur le niveau d’endettement avec des ajustements fiscaux sera donc nécessaire dans le cas où les objectifs de croissance économique ne sont pas atteints.

 La Zone franche de Nouadhibou peut être placée dans cette dynamique à la mode aujourd’hui en Afrique. Il est d’ailleurs l’un des grands projets en Afrique qui retiennent votre attention. Pourquoi ?

Le lancement de la Zone Franche de Nouadhibou répondait au besoin de créer un environnement institutionnel propice au développement intégré de la baie de Nouadhibou, capitale économique de la Mauritanie située au cœur d’un écosystème fragile pour lequel une attention particulière doit être portée afin de permettre une croissance accélérée qui soit écologiquement durable, socialement équitable et économiquement rentable.

Les pêcheries offrent encore de grandes potentialités, peut être même plus que le secteur minier en termes de création d’emplois, c’est pourquoi l’ambition de Nouadhibou qui est de catalyser l’émergence d’un Pôle de compétitivité halieutique (Nouadhibou Seafood Cluster) lui permettra d’augmenter la valeur nette générée par les ressources halieutiques ainsi que la proportion de cette richesse captée par la Mauritanie.

Ce programme phare que la Banque mondiale appuie au travers de deux opérations, l’une portant sur la gestion durable de la ressource et l’autre sur le développement des filières halieutiques à forte valeur ajoutée, est aligné avec les objectifs de développement durable et inclusif de la Mauritanie, sa stratégie sectorielle et ses cadres d’investissement.

La Banque mondiale accompagne donc de tels partenaires afin d’opérer un effet de levier important sur l’attraction d’investissements privés d’ancrage afin que des opérateurs économiques responsables puissent jouer un rôle de premier plan de telle sorte que les industries qui interviennent dans le secteur des ressources halieutiques deviennent rentables de manière durable, contribuant ainsi à l’économie nationale et mondiale.

Le développement du Pôle de compétitivité halieutique de Nouadhibou est un grand projet que je suis personnellement et que j’ai eu le plaisir de visiter en juillet 2014. Le groupe de la Banque mondiale souhaite naturellement accompagner l’essor des pêcheries mauritaniennes pour les rendre plus durables, plus compétitives et surtout plus inclusives en soutenant notamment les nombreuses femmes vivant de cette ressource à terre.

La Banque mondiale met en place des stratégies par pays tous les trois ans. Pensez-vous que ces stratégies atteignent réellement les résultats escomptés en Afrique ?

La Banque mondiale a engagé un processus profond de réforme interne pour répondre au mieux aux besoins et défis de développement de nos pays clients. Notre objectif est d’offrir l’expertise et la connaissance la plus poussée pour relever les défis de développement. Par ailleurs, les nouveaux diagnostics pays que nous avons instaurés permettront d’identifier les grands défis de développement des pays et d’introduire une sélectivité dans le choix des chantiers ayant le plus grand impact en termes de réduction de la vulnérabilité.

Le Groupe de la Banque mondiale a toujours fait preuve d’un grand engagement en faveur de l’Afrique avec comme objectif de s’attaquer aux goulets d’étranglement structurels auxquels les pays du continent sont confrontés. A travers l’identification des priorités de développement, la Banque mondiale a conduit des opérations qui ont eu un impact très positif sur les pays que nous soutenons. Je peux citer notre appui au secteur de la santé en Afrique, notamment dans le domaine de la santé maternelle ou la réduction des maladies infectieuses ; en effet, et pour ne donner que quelques exemples, les accouchements assistés sont passés de 47 à 80% en République démocratique du Congo ; le nombre de femmes enceintes recevant des soins prénatauxa augmenté de 23% au Burundi. La mobilisation de la Banque a été particulièrement intense aussi pour contrer l’épidémie d’Ebola. Je pilote les travaux de mise en œuvre d’une facilité financière pour lutter contre les futures pandémies qui tirent les leçons de cette expérience.
Dans le domaine de l’emploi et de la protection sociale, véritables moteurs de croissance et de réduction de la pauvreté en Afrique, nous multiplions les chantiers pour améliorer la généralisation des filets sociaux dans plusieurs pays, comme la Tanzanie ou le Niger ou encore pour reconvertir et réintégrer d’anciens combattants et ainsi aider à la pacification des pays passés par la guerre et à l’amélioration des revenus.

Le secteur des infrastructures, autre domaine phare de nos interventions en Afrique, a connu un appui soutenu du Groupe de la Banque mondiale au cours des dernières décennies, notamment en matière de réhabilitation ou de construction de routes, de barrages ou d’installations électriques.
Nos chantiers sont nombreux et nous tenons à souligner de nouveau le potentiel de développement de l’Afrique et de restructuration des économies. La Banque travaille également à répondre au mieux aux défis de développement en Afrique. Les nouveaux diagnostics pays représentent dans ce cadre un ajout bienvenu dans l’identification des priorités de développement ; ils permettront à la Banque d’avoir une vue globale des principaux défis de développement du continent et de bien aiguiller ainsi les choix et les chantiers qui seront définis dans le cadre des partenariats-pays.

Comment intervenez-vous aujourd’hui sur le continent africain en termes de suivi des projets que vous financez à coup de millions de dollars ?

Le Groupe de la Banque mondiale possède un cadre rigoureux pour la mise en œuvre, l’appui et le suivi de ses projets et mobilise des experts à la fois dans les pays et dans le siège pour ce suivi. A travers un Rapport sur la mise en œuvre, la Banque supervise scrupuleusement la performance du projet à chaque étape ainsi que l’atteinte des résultats visés ; elle s’appuie également sur ce rapport pour partager, dans une logique de transparence et de responsabilité, les informations relatives à chaque projet que nous soutenons. La nouvelle structure de la matrice combinant l’approche régionale et l’approche sectorielle au sein de la Banque permet aussi un meilleur flux des expertises et des meilleures pratiques en matière de préparation et de suivi de la mise en œuvre des projets. Le suivi et la performance des opérations que nous soutenons représentent le socle de notre engagement en Afrique et nous y veillons scrupuleusement, notamment pour rationaliser les coûts et réduire les risques liés à la mise en œuvre des projets.

La Guinée, le Liberia et la Sierra-Leone, trois pays durement touchés par Ebola, viennent de demander un Plan Marshall pour la relance de leurs économies affectées. Si cet appel devait se concrétiser, quel rôle serait dévolu à la Banque mondiale ?

Bien qu’il y ait eu des progrès substantiels dans le ralentissement de l’épidémie d’Ebola en Guinée, au Libéria et en Sierra Leone, de nouveaux cas continuent d’apparaître et nous devons rester concentrés sur l’atteinte de l’objectif « zéro cas ».

Le coût principal de cette épidémie tragique reste les pertes en vies humaines et la douleur des proches. Mais la crise a également réduit à néant des gains de développement durement gagnés et aggravé la pauvreté déjà endémique dans ces pays. Le manque à gagner du PIB prévu pour l’année 2015 en Guinée, au Libéria et en Sierra Leone s’élève à 1,6 milliard de dollars (soit 12% du PIB). Au-delà des coûts économiques importants, les coûts sociaux sont encore plus préoccupants : la sécurité alimentaire s’en trouve menacée, la scolarité a été suspendue pendant des mois etc.

Le Groupe de la Banque mondiale a déjà mobilisé près d’un milliard de dollars de financement à ce jour pour les trois pays les plus durement touchés par la crise et pris les devants pour alerter la communauté internationale et souligner l’urgence et la nécessité d’une action commune de l’ensemble des acteurs concernés, aussi bien bailleurs de fonds que gouvernements des pays.

Nous continuons de renforcer notre appui à ces pays concernés notamment à travers la mobilisation d’une enveloppe de 518 millions de dollars de l’Association internationale de développement (IDA), filiale de la Banque mondiale qui a pour mission d’aider les pays les plus pauvres. Son aide destinée à la Guinée, le Libéria et la Sierra Leone permettra de fournir des soins aux malades, de contenir et prévenir la propagation des infections, d’aider les communautés à faire face à l’impact économique de la crise, et enfin d’améliorer les systèmes de santé publique.

Le Groupe de la Banque mondiale a également mobilisé un financement d’urgence pour relancer l’agriculture et prévenir la famine dans les pays touchés par le virus Ebola.
Enfin, le financement de la SFI (entité du Groupe de la Banque mondiale pour le secteur privé) de 450 millions de dollars contribuera à favoriser le commerce, l’investissement et l’emploi dans les pays touchés.
En parallèle à ces efforts, nous travaillons étroitement avec les gouvernements concernés pour accélérer la reprise. Cela inclut un appui pour la mise en place de systèmes de santé performants, la sensibilisation des habitants et collectivités qui joueront le rôle de relais de prévention ou d’intervention au cas où une nouvelle épidémie apparaîtrait et enfin la reprise et le renforcement de la résilience de secteurs durement touchés par la crise d’Ebola, tels que l’agriculture ou l’éducation.
Une fois la situation rétablie, nous devons agir pour que les enfants retournent à l’école, que les agriculteurs reviennent à leurs champs, et que les entreprises et les investissements reprennent leur rythme de croisière. Une mobilisation et un appui de la communauté internationale seront nécessaires pour aider ces pays à se remettre debout, économiquement et socialement.

Les investissements créateurs de richesse ne seraient abondants et pérennes en Afrique que si ce continent arrivait à trouver des solutions définitives à ses déficits énergétiques. La Banque mondiale a-t-elle des plans à proposer comme celui de Power Africa du Président Obama ?

Le Diagnostic des infrastructures nationales en Afrique a souligné l’ampleur du déficit énergétique de l’Afrique. Les pays d’Afrique sub-saharienne, qui comptent une population combinée de 800 millions d’habitants, génèrent à peu près la même quantité d’énergie que l’Espagne dont la population se limite à 46 millions d’habitants, soit une consommation annuelle par habitant de seulement 124 kilowattheures – environ 1% des niveaux de l’OCDE – et à peine assez pour alimenter une ampoule par personne pendant trois heures par jour.

Les entreprises implantées en Afrique signalent que les pannes de courant fréquentes leur font perdre 5% de leur chiffre d’affaires ; ce chiffre s’élève à 20% pour les entreprises du secteur informel. En conséquence de ce déficit énergétique, l’étude estime que le taux de croissance par habitant en Afrique est 0,1 à 0,2 point de pourcentage inférieur à ce qu’il serait autrement. Le déficit en infrastructure énergétique de l’Afrique constitue donc un frein à la croissance par habitant et nous saluons, au sein du Groupe de la Banque mondiale, l’attention accrue des gouvernements en faveur de la question énergétique.

La Banque mondiale est le principal bailleur de fonds dans le secteur de l’énergie en Afrique sub-saharienne ; la SFI et MIGA financent et appuient un grand nombre d’investissements privés à travers le continent. A noter également que notre Président, Jim Kim, co-préside l’initiative « Energie durable pour tous » avec le Secrétaire général de l’ONU et que nous sommes partenaires de l’initiative du Président Obama « Power Africa » à laquelle vous faites référence.

Notre soutien à l’Afrique est axé sur la fourniture, et l’accès durable, fiable et bon marché à l’énergie. Cela signifie que nous sommes impliqués dans la chaîne de valeur globale, allant de la production, à la transmission et à la distribution en passant par les services hors réseau tels que des lanternes solaires. Nous appuyons également les gouvernements pour renforcer leurs services publics et attirer davantage de financement privé.

Les acteurs financiers font aujourd’hui preuve d’une réticence accrue à investir dans certains pays émergents ou en développement. Ils craignent d’y récolter des amendes ou d’y rencontrer des coûts de suivi disproportionnés. L’Afrique est sur la liste des premiers pays à souffrir de cette nouvelle tendance liée aux réformes du secteur bancaire et accentuées par la crise internationale. Comment rétablir un équilibre permettant aux banques de maintenir leur présence notamment sur le continent africain?

La clôture des comptes de certaines catégories de clients – notamment de sociétés de transferts de fonds – et l’arrêt ou la limitation des activités de correspondants bancaires des banques internationales avec des institutions financières ayant de tels clients constituent en effet des préoccupations. Si cette tendance se confirme, cela pourrait avoir un impact négatif important sur la capacité des pays en développement de bénéficier du système financier international, notamment du point de vue de l’inclusion financière et de l’objectif d’accès universel. Pour ces raisons, nous prenons cette évolution récente très au sérieux.

Des pays africains nous ont saisis à ce sujet, ainsi que des autorités d’autres continents. Il s’agit bien d’une problématique mondiale. S’il est incontestable que les banques doivent gérer leurs risques, fermer des comptes ou restreindre l’accès aux services bancaires à toute une catégorie de clients ressemble davantage à un désir d’éviter les risques qu’à une gestion saine des risques. Il est important que les institutions financières différencient mieux les risques au sein de chaque catégorie de clients et adaptent leurs mécanismes d’atténuation des risques en conséquence.

Dans ce contexte, il est essentiel de veiller à ce que nous comprenions mieux ce qui est en train de se passer (et sa magnitude). Nous avons connaissance d’anecdotes et de données pour certaines institutions financières, mais nous n’avons pas encore une vision suffisamment claire pour préparer une réponse forte et efficace. Nous travaillons au sein de la Banque mondiale à la mise en place d’une collecte systématique des données, à la mobilisation des organismes internationaux concernés en vue de prendre les mesures nécessaires et, à la demande des pays clients, au renforcement des dispositifs de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme et s’assurer que leurs institutions financières disposent de mesures de contrôle appropriées.

Plus généralement, si les banques internationales – principalement européennes – avaient repris leurs prêts à l’Afrique après la crise financière internationale, leur niveau a stagné depuis fin 2013 à environ 7% du PIB (à comparer à 10% en moyenne avant la crise). Cette tendance s’explique principalement par les pressions auxquelles les institutions font face sur leurs marchés domestiques pour réduire leurs risques et revoir leurs business models. Il est important de s’assurer que les réformes réglementaires ne viennent pas amplifier ces tendances.

Il faut relever, en même temps, que les marchés de capitaux continuent de financer l’Afrique, poussés par des taux d’intérêt internationaux extrêmement faibles du fait des politiques monétaires conduites dans les économies développées. À titre d’exemple, on peut noter que les obligations émises sur le marché international par des pays d’Afrique subsaharienne ont pratiquement doublé depuis la crise pour atteindre 80 milliards de dollars, correspondant à plus de 6% du PIB pour le pays médian. La persistance d’un dollar fort conjuguée à une attente de hausse des taux d’intérêt aux Etats-Unis, pourraient accentuer les vulnérabilités financières. Certains États fortement exposés ne disposent pas encore des moyens pour faire face à des perturbations de marchés importantes.

La Banque mondiale a dernièrement porté ses inquiétudes à la connaissance de Mark Carney, le président du Conseil de stabilité financière créé par le G20 (« FSB » selon son acronyme anglais), l’organisme qui supervise les réformes de la régulation financière. Un état des lieux et d’éventuelles solutions devaient être discutés par le G 20. Où en est-on aujourd’hui par rapport à cette situation ?

Tout à fait, le G20 et le FSB sont tous deux mobilisés. Nous travaillons étroitement avec ces deux organismes ainsi que d’autres, tels que le Groupe d’action financière et le Comité de Bâle. Dans le contexte du G20, l’attention est principalement portée sur l’impact potentiel de la clôture de comptes sur l’inclusion financière. Au niveau du FSB, nous sommes également préoccupés par cette question, mais aussi du point de vue des relations de correspondance bancaire, qui représentent la pierre angulaire du système financier international et des paiements mondiaux. Nous avons convenu d’un programme de travail pour les prochains mois (portant en particulier sur la collecte et l’analyse des données). Notre objectif est de disposer d’ici l’été d’une vision claire de la situation actuelle et des tendances en cours. Cela permettra, si cela est nécessaire, de mieux préparer des réponses complémentaires (en complément des réponses nationales des pays).

Sachez enfin que le Groupe de la Banque mondiale suit de près les conséquences imprévues des réformes réglementaires convenues au niveau international, telles que celles de l’accord de Bâle III qui sera progressivement mis en place dans les prochaines années. Nous participons également à des groupes de travail régionaux tels que le Groupe consultatif régional du FSB pour l’Afrique, pour partager les défis du secteur auprès des responsables des secteurs financiers dans les pays africains. Etre la voix de ceux qui ne sont pas directement représentés autour de la table est pour nous une mission essentielle et une de nos responsabilités les plus importantes.

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