

Travailleurs portugais en Angola
Non content d’être la principale destination des émigrés portugais, l’Angola est également l’un des principaux investisseurs que l’ancienne puissance coloniale ne se gêne pas de courtiser. Les Portugais viennent profiter de la folle croissance dont le pays a fait preuve, dans la première décennie de l’après-guerre civile.
Ces 10 dernières années, plus de 200.000 Portugais se seraient établis en Angola, dont plus de la moitié entre 2010 et 2014. Et le nombre augmente annuellement de 20 à 25.000 nouveaux immigrants dans l’ancienne colonie lusophone d’Afrique australe. Rien ne semble les arrêter, ni les 7 heures de vols entre Lisbonne et Luanda, ni les longues files d’attentes. Pas même le statut de ville la plus chère du monde dont bénéficie tristement la capitale angolaise n’est assez décourageant. Puisque l’ambassade d’Angola au Portugal traite quelque 25.000 demandes de visas, déposées chaque année, essentiellement par des jeunes professionnels, ingénieurs, techniciens et cadres d’entreprises. A ce rythme, il ne faudra que quelques années pour que les Portugais reviennent à leur nombre de 500.000 qu’ils étaient avant l’indépendance. C’est inédit, et du jamais vu dans les annales postcoloniales.
Ce qui attire les Portugais tient en deux mots : d’une part crise et d’autre part croissance. La crise est malheureusement portugaise et la croissance angolaise. L’Angola est la troisième économie d’Afrique subsaharienne et affiche des croissances à la chinoise. Avant la crise financière de 2008 qui a mené au bord du gouffre plusieurs pays européens, le PIB angolais progressait déjà de plus de 21%. Alors que le Portugal ne pouvait pas faire mieux qu’un 1,8% de croissance annuelle.
Luanda, Ville la plus chère du monde
Luanda se distingue pourtant comme la métropole la plus chère du monde pour les expatriés, selon le cabinet britannique Mercer. Voilà deux années consécutives qu’elle arrive avant Tokyo, Ndjamena, Moscou, Genève et Osaka. L’afflux de migrants et la pénurie de logements ont fait flamber les loyers. Des tours rutilantes, dans le centre-ville, surplombent des quartiers dévastés où certains immeubles sont encore criblés d’impacts de balle. Dans ce pays où tout est à construire ou à reconstruire, un nouvel Eldorado est né, en 2002, à la fin d’une guerre civile qui aura duré vingt-sept ans.
Du coup, ses besoins immenses en ingénieurs, techniciens, financiers et autres experts lusophones poussent des milliers de Portugais à tenter l’aventure africaine, en Angola plutôt que dans les autres ex-colonies portugaises, Cap-Vert, Guinée-Bissau et Mozambique.
Beaucoup de ces Portugas sont néanmoins envoyés comme expatriés par leurs entreprises qui ont décidé de créer une filiale angolaise ou qui y viennent pour honorer un marché. En effet, faut-il rappeler qu’ils sont quand même plus de 800 entreprises portugaises en Angola. Evidemment, l’Angola n’est plus que le deuxième partenaire commercial de ce désormais très attirant pays pétrolier. L’ex-métropole coloniale se place derrière la Chine et devant le Brésil, autre pays lusophone juste de l’autre côté de l’Atlantique et partenaire historique de l’Angola.
La revanche de l’histoire
Les officiels draguent ouvertement l’Angola
Troisième économie de l’Afrique subsaharienne, après l’Afrique du Sud et le Nigeria, l’Angola se voit déjà comme un pays émergent. Doté d’importantes réserves en hydrocarbures, auxquelles s’ajoutent de prometteuses prospections — prolongement géologique des richissimes bassins brésiliens déjà en exploitation —, il est l’un des principaux producteurs africains d’or noir : 1,8 million de barils par jour en moyenne depuis 2008. Grâce à la réussite de la réconciliation nationale, après des décennies de guerre. Il affiche une stabilité politique qui n’est pas pour déplaire aux investisseurs étrangers. Mais, plus inattendu, l’Angola se voit courtisé par son ancien colonisateur, le Portugal, soumis à une cure d’austérité drastique. « Le capital angolais est le bienvenu chez nous ! », avait ainsi lancé le premier ministre portugais Pedro Passos Coelho.
Mais, les pétro-dollars angolais ne servent pas seulement à d’immenses investissements devant développer le pays. A l’image des monarchies du Golfe persique, l’Angola devient de plus en plus un investisseur étranger, surtout pour l’ancienne puissance coloniale. Au point où d’aucuns n’hésitent pas à qualifier le Portugal de nouvelle colonie angolaise. Cela irrite les Européens en général et une certaine élite portugaise en particulier. Le quotidien économique, « Jornal de Negocios » avait parlé, presque dédaigneusement « d’offensive des Palancas negras ». Sauf que ces « Antilopes nègres » contrôlent des banques, achètent des biens immobiliers, deviennent des actionnaires de références dans la bourse de Lisbonne. Les hôtels, l’industrie du luxe, la haute couture, les propriétés terriennes et le pétrole également y passent.
L’offensive qui irrite tant
2 milliards de dollars investis au Portugal
[caption id="attachment_2373" align="aligncenter" width="251"]
Si l’engouement de la nouvelle bourgeoisie angolaise pour l’immobilier de l’ancienne métropole est déjà légendaire, car il aurait contribué à la hausse des prix du secteur, ce sont les acquisitions d’actions dans les plus importants groupes bancaires et énergétiques qui ont attiré le gros des capitaux : quelque 2 milliards de dollars, soit 4 % du total de la valeur boursière. En réalité, l’imbrication des banques des deux pays rend ce calcul incertain. Au cœur de ce mouvement se trouve la compagnie pétrolière angolaise Sonangol, deuxième entreprise africaine, tous secteurs confondus. Le mouvement de capitaux vers Lisbonne s’est accentué. Sonangol est alors devenue l’actionnaire de référence de la première banque privée portugaise, la Millenium BCP. La société financière Santoro, détenue par Isabel dos Santos, fille aînée du président angolais José Eduardo dos Santos, participe également à ces opérations. Ainsi, le consortium Esperanza, formé par Santoro et Sonangol, détient 45 % du groupe portugais Américo Amorim, qui, à son tour, contrôle 33,3 % de la compagnie nationale portugaise de pétrole, Galp Energia
La fille aînée deJosé Eduardo dos Santos, président en exercice depuis 1979, est devenue l’égérie de ce nouvel impérialisme angolais. A Lisbonne, «la princesse Isabel», jolie métisse de 40 ans issue d’un premier mariage de «Zédu» avec une Russe, descend au Ritz et se fait livrer sushis et fleurs blanches. Mariée à l’homme d’affaires Sindika Dokolo, 42 ans, d’origines danoise et congolaise, la femme la plus puissante d’Afrique est la seule à valoir plus de 34 millions d’euros sans venir d’Afrique du Sud. Parmi ses associés portugais figure l’influent Americo Amorim, lui aussi au classement Forbes des grandes fortunes mondiales.
Isabel dos Santos s’est illustrée, il y a quelques années par un coup d’éclat: elle a racheté, pour 164 millions d’euros, une tranche de 9,7% des parts détenues par la Banque commerciale portugaise (BCP), première banque privée du Portugal, dans sa rivale la BPI, quatrième banque portugaise. Autre aspect de sa stratégie offensive: l’une de ses sociétés, Kento Holding, a acheté en 2010 une part de 10% de Zon Multimedia, un grand groupe portugais opérant dans l’industrie des médias. Montant de la transaction: 164 millions d’euros, là encore, payés rubis sur l’ongle et sans l’ombre d’un complexe.