L’Etat du Congo, les groupes miniers internationaux, les occidentaux, notamment les Américains, sont brocardés par l’ONG américaine Oakland Institute.
Leur tort : l’exploitation abusive et massive de la République démocratique du Congo au détriment des peuples autochtones. Ce sont les grandes conclusions du rapport sans ambages que vient de produire l’ONG américaine. Entretien avec Frédéric Mousseau, l’un des dirigeants du groupe de réflexion progressiste, Oakland Institute, basé en Californie
AFRIMAG: Si vous pouvez revenir sur les grandes conclusions de votre rapport sur les populations autochtones en RDC..
Frédéric Mousseau : Notre rapport, De l’abus au pouvoir : mettre fin à la conservation-forteresse en République démocratique du Congo, montre que basée sur les expulsions forcées des peuples autochtones de leurs terres, la conservation-forteresse en RDC entraîne d’abominables violations des droits humains et facilite l’extraction illicite de minéraux et d’autres ressources. Il montre aussi que malgré les récents scandales dans des parcs gérés par de grandes ONG de protection de la nature (Fonds mondial pour la nature -WWF et la Wildlife Conservation Society – WCS), celles-ci n’ont pas su répondre de manière adéquate à la violence et aux abus des écogardes et des forces de sécurité.
AFRIMAG : Quelles seraient les solutions à appliquer selon vous ?
Frédéric Mousseau : Le rapport appelle à un changement de cap urgent pour une protection environnementale efficace et équitable, dans le respect et avec la pleine participation des communautés locales et des peuples autochtones. Les organisations de protection de la nature ne peuvent se contenter des mesures cosmétiques qu’elles ont annoncées comme mettre en place de la formation ‘droits humains’ pour leur personnel ou des boites aux lettres pour les plaintes des communautés. Ces mesures n’iront nulle part tant que ces organisations continuent à défendre un modèle ou les populations autochtones doivent être exclues des territoires qu’elles ont elles-mêmes protégés pendant des millénaires jusqu’à la colonisation. Mais nous mettons également en garde que les objectifs de conservation ne peuvent être atteints sans régler le problème de l’extraction illicite dans l’est de la RDC, qui implique les voisins du pays, ainsi que leurs partenaires commerciaux et financiers. Le gouvernement américain finance la protection de l’environnement en RDC alors qu’il soutient aussi les pays qui sont à l’origine des violences et du pillage des ressources naturelles, notamment dans les parcs. Ce soutien inconditionnel et schizophrène doit cesser afin de protéger à la fois les communautés autochtones et la biodiversité du pays.
AFRIMAG : Y a-t-il des exemples de pays ou cela a été mis en place ? (Namibie par exemple, avec des problématiques similaires)
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Frédéric Mousseau : Le Brésil reconnait plus de 500 territoires autochtones sur lesquels les populations jouissent de tous les droits sur leurs terres, ce qui constitue un obstacle à la déforestation, à l’exploitation minière et à l’agriculture industrielle. Ces zones couvrent 12.5 % de la superficie du pays, principalement en Amazonie. Plusieurs institutions gouvernementales sont en place pour protéger les populations indigènes, leur apporter des services de base, et faire respecter les lois face à la forte pression des différentes industries extractives. C’est donc possible ! La RDC a une histoire et des caractéristiques qui lui sont propres et doit pouvoir déterminer le modèle qui lui convient, en donnant un rôle déterminant aux populations locales et autochtones qui n’ont jamais eu voix au chapitre dans le passé.
AFRIMAG : Comment lutter contre les lobbies en présence et les enjeux financiers énormes ?
Frédéric Mousseau : Cela fait maintenant 30 ans que l’Est de la RDC connait une guerre qui aurait déjà fait plus de 6 millions de morts, et continue d’engendrer faim, misère et déplacements pour des millions d’autres. Il est un fait établi que l’exploitation minière est au cœur de cette violence et tant les gouvernements que les entreprises qui commercialisent ou utilisent ces minerais doivent prendre leur part de responsabilité. Les pays qui soutiennent le Rwanda et l’Ouganda et leur permettent à la fois de soutenir le mouvement rebelle M23 mais aussi d’exporter les minerais sur les marches internationaux doivent être mis devant leurs responsabilités. Il est primordial que les opinions publiques dans ces pays se mobilisent et fassent pression sur leurs gouvernements et les grandes entreprises impliquées. Il appartient aussi aux donateurs individuels et institutionnels qui soutiennent les grandes ONGs de protection de la nature d’utiliser leur voix pour influer sur leurs comportements.
AFRIMAG : Cela ne reviendrait-il pas à mettre ces populations « sous cloche » leur interdisant quasiment toute possibilité de développement « moderne » ?
Frédéric Mousseau : Il est insupportable de voir que dans notre époque de néocolonialisme, l’argument du développement a remplacé celui de l’œuvre civilisatrice au temps colonial. On devrait accepter les formes modernes d’exploitation, de marginalisation, et de domination pour un hypothétique développement qui – on le voit bien après des décennies de conservation et d’extraction- n’amènent que misère et souffrance aux populations locales. Il s’agit avant tout d’une question de partage des richesses. Il ne faut pas oublier que dans l’est du Congo, ceux qui coupent des arbres pour vendre du charbon de bois ou les enfants qui descendent dans les mines sont dans un mode de survie qu’ils n’ont pas choisi.
Pour ce qui est de la conservation, les populations autochtones du territoire qui est aujourd’hui la RDC ont occupé leurs terres pendant des millénaires en préservant la biodiversité et assurant une gestion exemplairement durable des ressources naturelles qui les entouraient. Il est quand même hallucinant qu’on leur ait pris leurs terres justement pour le prétexte de protection de la nature alors qu’elles en étaient elles-mêmes les protecteurs les plus efficaces. Leur éviction pour créer des parcs nationaux a permis à tout un ensemble d’acteurs de s’y inviter pour accaparer les ressources naturelles. Notre rapport montre comment ceux-ci comprennent un certain nombre de milices et groupes armés, mais aussi les forces de sécurité étant supposées protéger les parcs.
AFRIMAG : En dehors des droits inaliénables de ces populations devant être défendus, que suggérez-vous à l’Etat congolais et les grands groupes miniers dans ce pays au bénéfice de tous ?
Frédéric Mousseau : On doit prendre acte que le gouvernement de la RDC a déjà mis en œuvre un élément essentiel de la décision de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples avec l’adoption de la nouvelle loi sur la protection et la promotion des droits des peuples autochtones en 2022. D’autres demandes importantes de la Commission concernent les lois à adopter ou la législation à modifier, ce que le gouvernement est en mesure de faire. Mais comme toujours, le plus important sera la suite, c’est à dire la mise en œuvre effective de ces lois, qui nécessite le soutien et la participation de toutes les parties prenantes, en particulier les acteurs internationaux. Les ONG de conservation doivent prendre des mesures significatives à cet égard et, au-delà du cas spécifique de Kahuzi-Biega, adhérer à et soutenir un nouveau modèle de conservation qui place les communautés autochtones au centre et au pouvoir, comme elles l’ont promis à maintes reprises dans le passé.
Pour ce qui est de l’extraction minière, le pillage de la RDC, catastrophe économique, sociale, et écologique, est un scandale qui n’a que trop duré mais ce ne peut être que de la seule responsabilité du gouvernement congolais. Les activités dévastatrices des pays voisins, le poids du soutien inconditionnel que leur offre les Etats Unis, et quelques autres pays occidentaux, et les intérêts des entreprises qui en bénéficient demande une action décisive au niveau international.
Entretien réalisé par François Dry