L’arbitrage international qui participe du droit des investissements reste un champ de possibles très ouvert dans l’espace juridique africain. De la Cour commune de justice et d’arbitrage de l’Ohada à la Cour africaine de médiation et d’arbitrage de Marrakech en passant par le Cairo Regional Centre for International Commercial Arbitration, plus de 70 institutions d’arbitrage existent aujourd’hui sur le continent.
La médiation et l’arbitrage connaissent un boom sur le continent. Mais, l’Afrique reste toutefois sous représentée dans le domaine. Pourquoi cela, quelles en sont les conséquences, comment y remédier ? Me Mouhamed Kebé du cabinet GENI&KEBE de Dakar, un expert connu et reconnu en la matière, est notre invité.
AFRIMAG : Beaucoup de contentieux dans les dossiers d’arbitrage impliquant les États africains face à des multinationales se concluent sur le dédommagement souvent colossal de ces dernières. Or, on remarque une sous représentativité de praticiens africains dans les institutions d’arbitrage, cette situation n’a-t-elle pas une influence sur les décisions si l’on sait que l’aspect culturel est un marqueur du domaine judiciaire ?
Me Mouhamed Kebé : Du point de vue strictement juridique, cette sous-repré- sentativité ne saurait directement impacter sur les décisions des tribunaux arbitraux siégeant dans des affaires impliquant les États africains face à des multinationales car les parties procèdent généralement eux-mêmes à la désignation de leurs arbitres et ces derniers tranchent le litige principalement sur la base du droit applicable choisi généralement par les parties également. Il s’y ajoute le fait que certains forums comme le CIRDI donne la possibilité à chaque État membre de désigner ses ressortissants/représentants sur la liste d’arbitres de l’institution. Néanmoins, la dimension culturelle peut jouer deux rôles importants dans le traitement du contentieux arbitral.
D’abord, la culture juridique de l’arbitre et son aptitude à apprivoiser une culture juridique différente que révèle le conten- tieux soumis à lui peut-être un facteur important.
Ensuite, les éléments purement culturels (nationalité, religion, langue, etc.) relatifs aux parties litigantes peuvent être mises à profit pour optimiser leurs implications respectives dans le déroulement et le dénouement de la procédure. C’est dans ce dernier cas qu’une présence plus signi- ficative des arbitres africains peut aider à une résolution efficace des différends arbitraux impliquant notamment les États africains.
L’Ohada se voit souvent reprocher de défendre les intérêts du créancier plus que ceux du débiteur. Et contradictoirement, se pose la problématique du respect des décisions de justice aux États, les décisions de la CCJA (Cour commune de justice et d’arbitrage) étant supranationales, comment les imposer aux États dans leur exécution ?
Il est vrai que la CCJA se positionne un peu comme la Cour Suprême des juridictions nationales pour le contentieux des Actes Uniformes OHADA et ceci a l’avantage de contribuer à une application harmonisée du droit uniforme. Dès lors, les décisions de la CCJA s’imposent à la fois aux juridictions nationales et aux justiciables concernés y compris les États membres de l’OHADA.
Même si l’OHADA a consacré l’immunité d’exécution des personnes morales de droit public, ce principe n’est pas absolu comme le démontre notamment les récentes décisions de la CCJA sur son champ d’application et ceci permet d’éviter une surprotection des États face aux demandes d’exécution légitimes de leurs créanciers.
Il reste que du point de vue politique, l’OHADA gagnerait à travailler avec ses États membres pour réduire les écueils observés dans l’application de décisions de la CCJA et promouvoir au même moment une meilleure exécution de ces décisions.
L’Ohada se dote d’un nouvel outil d’arbitrage des investissements, est-ce que la multiplication des institutions d’arbitrage n’est pas un facteur à limiter l’efficacité du Droit international ?
Il faut se féliciter de prime abord de la consécration des dispositions expresses sur l’arbitrage d’investissement en droit OHADA qui incluent désormais les traités bilatéraux d’investissement et les codes nationaux d’investissements comme fondements de l’arbitrage.
Ceci permet de prendre en compte des offres d’arbitrage d’origines diverses et de consacrer une pratique réelle dans l’espace régional au regard de nombreux arbitrages d’investissements.
La multiplication des Centres d’arbitrage, n’est pas en soi une limite à l’efficacité du droit international car il arrive que ces centres soient amenés à appliquer des règles issues du droit international. On peut simplement noter que des tribunaux arbitraux sont de plus en plus constitués pour trancher de différends internationaux y compris de différends interétatiques qui étaient classiquement tranchés par des juridictions internationales.
Comment associer la voix de l’Afrique au débat mondial, faire en sorte que les contentieux concernant le continent se règlent devant la CCJA ou une autre institution de médiation et d’arbitrage en Afrique plutôt que sur la place de Paris, Londres, New-York ou Hong-Kong ?
Le choix du centre et du siège de l’arbitrage relève essentiellement de la liberté des parties concernées même s’il y a de plus en plus des instruments juri- diques nationaux ou internationaux qui proposent nommément un Centre d’arbitrage à l’instar du nouveau code des investissements de la Cote d’Ivoire qui vise en l’occurrence la CCJA. Au-delà, le choix du siège dépend également de l’attractivité du droit de l’arbitrage qui y est applicable et de l’efficacité des procédures de reconnaissance et d’exécution des sentences arbitrales. Par exemple, une initiative comme celle de Delos Arbitration ayant vocation à promouvoir des «sièges d’arbitrage sûrs» (Safe Seats) permet de constater qu’il y a une seule place afri- caine (Port Louis à Maurice) identifiée sur une liste d’une trentaine de places identifiées au 1er janvier 2020. Dès lors, il revient principalement à l’Afrique de développer un droit de l’arbitrage attractif en termes de règles, de coûts, des procédures et surtout de faire la promotion de ses places d’arbitrage comme « sièges sûrs » en participant aux débats, aux publications ou aux rencontres internationales.
Entretien réalisé par Mouhammadou Diop
Bio-express
Mouhamed Kébé est Associé-gérant de GENI & KEBE, à Dakar au Sénégal. Arbitre agréé auprès de la CCJA de l’OHADA et Membre de la Cour Internationale d’Arbitrage de la Chambre de Commerce International, il est présent dans les deals concernant les secteurs comme les télécommunications, les mines, les hydrocarbures & énergies, l’aviation, etc.
Me KEBE intervient dans le transactionnel et

le contentieux et est particulièrement actif dans le domaine de l’arbitrage et des modes alternatifs de règlement de différends.