La République Démocratique du Congo (RDC) fait face à un paradoxe économique frappant. D’un côté, le gouvernement affiche l’ambition de créer une bourse des valeurs à Kinshasa, signe d’une volonté de moderniser l’économie et de l’intégrer aux marchés financiers mondiaux. De l’autre, les bases nécessaires à une telle initiative sont largement absentes

Fondateur & CEO, Easy Cargo Freight International
Le tissu économique congolais manque d’entreprises structurées, dotées de systèmes comptables fiables et capables de produire des rapports financiers crédibles. La plupart des sociétés évoluent dans l’informel, sans bilan clair, sans suivi rigoureux des bénéfices et pertes – éléments pourtant essentiels au bon fonctionnement d’un marché financier.
Le système bancaire ne joue pas son rôle d’accompagnateur de la croissance. Le crédit est rare, coûteux, et réservé à une minorité. Quant au système judiciaire, miné par la corruption, il offre peu de garanties aux investisseurs et fragilise davantage la confiance économique.
Mais le problème est encore plus profond : les indicateurs macroéconomiques sont au rouge
Le franc congolais est structurellement faible et ne cesse de perdre de sa valeur sur les marchés de change. La RDC importe presque tout ce qu’elle consomme, exposant lourdement son économie aux fluctuations extérieures. Pire encore, près de 80% de l’économie est contrôlée par des acteurs étrangers, qui peuvent à tout moment rapatrier leurs capitaux en cas d’instabilité, accentuant la vulnérabilité du pays.
En outre, les infrastructures essentielles à l’activité économique sont défaillantes. Le pays subit des délestages électriques quotidiens, entravant la productivité des entreprises. L’accès à Internet reste limité, lent et coûteux. Le transport est chaotique et entrave les échanges commerciaux. Et surtout, le pays souffre d’un grave manque de comptables, de financiers et de gestionnaires qualifiés, faute de formation adéquate.
Des exigences techniques élevées ignorées par les autorités
Ce que beaucoup de décideurs semblent ignorer ou minimiser, c’est que pour qu’une entreprise s’introduise en bourse, elle doit suivre une procédure très complexe qui exige une préparation méticuleuse et une conformité stricte à des règles financières, juridiques et comptables. Elle doit :
- Présenter des états financiers certifiés et vérifiables sur plusieurs années ;
- Adopter des normes de gouvernance d’entreprise ;
- Publier régulièrement des rapports d’activité ;
- Se soumettre à un contrôle rigoureux des autorités de régulation.
Or, la majorité des entreprises en RDC ne remplissent aucune de ces conditions, faute de formation, de moyens, ou de volonté politique d’encadrer et d’accompagner ce processus.
Même les grandes entreprises locales, souvent liées à l’informel ou à des réseaux politico-économiques opaques, évitent toute exposition publique et toute transparence. Créer une bourse dans ce vide réglementaire, sans entreprises préparées et sans culture de transparence, revient à construire une façade sans fondations.
Même si une bourse est techniquement créée, la question fondamentale demeure : qui pourra y participer de manière durable et crédible ?
La majorité de la population vit dans la pauvreté extrême, sans capacité d’épargne ni d’investissement. Les entreprises locales, pour la plupart informelles, ne sont pas prêtes à répondre aux exigences d’une cotation en bourse.
Nos dirigeants doivent devenir sérieux et arrêter de nous faire rêver debout, alors qu’ils savent pertinemment que dans les conditions actuelles, ce projet n’est pas faisable.
La priorité doit être de :
- Nourrir et sécuriser la population ;
- Soutenir l’entrepreneuriat local ;
- Moderniser les infrastructures ;
- Réformer profondément les institutions ;
- Stabiliser la monnaie et redynamiser l’économie réelle.
Ce n’est qu’en bâtissant un socle économique solide que la RDC pourra aspirer, un jour, à un marché financier viable, crédible et inclusif.
« Une économie doit d’abord nourrir, éduquer et sécuriser son peuple avant de lui demander d’investir dans ses entreprises. »
*Willy Lukanga
Fondateur & CEO - Easy Cargo Freight International