Les différentes réactions recueilles récemment sur place en Tunisie, en rapport avec la nouvelle loi instaurée par les autorités pour lutter contre le phénomène des chèques sans provision mettent en lumière l’une des problématiques qui se pose aux PME-PMI africaines en général : la nécessité de trouver un «mode de financement alternatif moderne», limitant la dépendance vis-à-vis des liquidités, donnant la sécurité tant aux créanciers qu’aux débiteurs, et facilitant les échanges entre les acteurs économiques

Ancien banquier – Expert en compensation
De nombreuses PME-PMI africaines souvent pénalisées par la conjoncture, disposent généralement de ressources et d’opportunités sous-exploitées (compétences, capacités de production sous-utilisées, potentialités, temps/hommes, stocks excédentaires, créances improductives, actifs sous-utilisés, etc.), qu’elles peuvent utiliser comme moyen alternatif de paiement (hors trésorerie), en s’inspirant d’un précédent très réussi, fonctionnant actuellement en Suisse.
En 1934, seize hommes d’affaires déçus par leur banquier, se sont réunis à Zurich en Suisse pour créer dans le cadre d’une Coopérative, un système de crédit mutuel entre eux, avec une «monnaie» interne appelée WIR ayant une valeur équivalente à celle du Franc suisse. Au lieu d’emprunter de l’argent aux banques pour se payer les unes les autres, les entreprises adhérentes se distribuent des crédits directement aux unes et aux autres dans cette monnaie de «Business to Business» (B2B). Ces crédits sont utilisés pour acheter à d’autres entreprises membres du système, ou pour payer, au moins partiellement les salariés.
Bien que le contexte actuel ne soit pas le même, les PME-PMI africaines peuvent prendre l’initiative de créer à l’échelle qui leur semble appropriée et à travers des «Cercles de Compensation Interentreprises» leur mécanisme sécurisé de financement alternatif mutuel des activités de productions et de services, combinant un système de compensation interentreprises et un système de cautionnement mutuel, et leur offrant la possibilité de régler entre elles certaines de leurs transactions industrielles ou commerciales par échanges indirects à partir d’un système compensation multilatérale par compte.
Le principe de base de cette solution pragmatique qui permet aux acteurs économiques de réaliser en toute légalité (et sécurité) des transactions en limitant le recours à la monnaie liquide, par l’utilisation d’une monnaie alternative ou virtuelle alignée sur la monnaie officielle, est simple :
– Chaque entreprise intéressée s’inscrit, dépose une caution ou une garantie et «crée» un «compte de compensation» (fonctionnant sans argent liquide) ;
– Les entreprises membres proposent des biens ou des services qu’elles sont disposées à céder en compensation ;
– Les entreprises membres négocient et «règlent» indirectement leurs échanges des biens et services ;
– Un «Guichet» fonctionnant sur le modèle bancaire, à la fois comme une «plateforme numérique d’échange de biens et de services», une Agence de Courtage, une Société de Cautionnement mutuel et une Chambre de Compensation Industrielle et Commerciale facilite les échanges et gère les comptes spéciaux de compensation. Il se charge de concevoir et de mettre en œuvre des formules de produits alternatifs adaptés, des actions d’animation dynamiques, des solutions spécialisées, etc., visant à créer un courant de transactions mutuellement satisfaisant entre les acteurs.
Quatre exemples simples faciles à mettre en œuvre permettent de bien cerner l’intérêt d’un tel outil pour les PME-PMI africaines :
– Programmes de conversion des dettes interentreprises – Une Association d’entreprises organise régulièrement des programmes de conversion des dettes et créances, permettant aux membres de liquider indirectement leurs dettes et créances mutuelles sous forme de biens et services compensables sans avoir à mobiliser de liquidités ;
– Circuit de crédit commercial – Un Guichet de Compensation interentreprises met en place un mécanisme sécurisé de financement alternatif (de marché) associant un Assureur et mettant à contribution des membres fournisseurs et prestataires, disposés à livrer des biens et services «payables» immédiatement en échange marchandises ou à «échéance» en numéraires dès réception du règlement du marché… ;
– Système de paiement compensatoire peer-to-peer – En partenariat avec un Opérateur de Téléphonie mobile, un Groupement de PME-PMI met en place un système de paiement compensatoire peer-to-peer permettant aux membres de payer, d’échanger ou de compenser (par téléphone) certaines de leurs transactions commerciales entre eux sans avoir besoin de recourir aux liquidités ;
– Programmes spéciaux de compensation sur le modèle bancaire – Un Guichet de Compensation interentreprises organise périodiquement des programmes spéciaux de règlements des transactions commerciales et industrielles par «paiements compensés» entre partenaires, à l’issue desquels seuls les soldes finaux négatifs ou positifs (préalablement garantis) des «comptes de compensation» sont réglés en numéraires selon le schéma de la compensation interbancaire
Les avantages pour les PME-PMI de cette approche pragmatique sur les plans financier, commercial, monétaire, économique, social, marketing, etc., ne sont plus à démontrer : amélioration de la liquidité, optimisation de la trésorerie, réduction de la dépendance au financement bancaire, valorisation des potentiels inexploités, optimisation des capacités opérationnelles, mutualisation du «crédit fournisseur», incitation à la rencontre et aux compromis, promotion de nouvelles collaborations et solidarités, renforcement de la confiance et de la coopération, liquidation des stocks sans dépréciations commerciales, sauvegarde amiable des intérêts en présence, amélioration des délais de paiement, sécurisation des règlements, liquidation indirecte non monétaire de dettes ou créances, renforcement des chaînes de valeur locales, simplification des procédures, stimulation de l’économie locale, etc.
Faute de sortir des sentiers battus et d’envisager d’implémenter avec prudence une telle solution, il est à craindre que les PME-PMI africaines aient à subir plus longtemps encore les conséquences de leur inertie et de leur incapacité à mobiliser elles-mêmes leurs gisements de ressources sous-exploitées pour surmonter les blocages endogènes et exogènes auxquels elles sont quotidiennement confrontées.
Et en ce qui concerne cette solution sommairement présentée, dont des modèles existent à travers le monde, le gros avantage aujourd’hui, par rapport à ce qui s’est passé en Suisse en 1934, est la disponibilité des technologies efficaces et peu coûteuses, qui permettent de mettre en œuvre cette approche plus rapidement que dans les années 30.
Jean-Pierre Mfomy – Ancien « banquier » – Expert en compensation