Les théoriciens du libre-échange – Adam Smith et Ricardo principalement-, se retourneront dans leur tombe, s’ils découvrent, «pour en finir avec l’arnaque que fait subir le reste du monde à l’Amérique», le plan Donald Trump présenté mercredi 2 avril dans la soirée à Washington.
La rafale des droits de douane infligés à plus de 180 pays dont 45 en Afrique, enterre de facto les accords qui ont abouti en 1947 à la création du GATT (Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce). Accord multilatéral de libre-échange destiné à faire baisser les prix pour les consommateurs, mieux utiliser les facteurs de production et favoriser l’emploi dans les secteurs où chaque pays détient un avantage comparatif. Pour mieux performer ces accords, l’un des derniers cycles de négociations, celui d’Uruguay, de 1986 à 1994, clos par l’accord de Marrakech, avait abouti à la création de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) le 1er janvier 1995.
L’OMC détricotée
Donald Trump a déclaré une guerre commerciale sans précédent au monde, imposant des droits de douane universels de 10 % et des sanctions encore plus lourdes à des partenaires clés comme la Chine (54 %), l’UE (20 %) ou le Japon (24 %). Selon James Fernández Cardozo, analyste en discours : ces mesures, qui portent les droits de douane moyens américains à leur plus haut niveau depuis la Grande Dépression, ne relèvent pas seulement de la politique économique : elles sont la réincarnation moderne de la Destinée manifeste (Idéologie calviniste selon laquelle la nation américaine aurait pour mission divine l’expansion de la « civilisation »).
Cette doctrine justifiait l’expansion territoriale des États-Unis au XIXe siècle, en affirmant que le pays était destiné à dominer. Aujourd’hui, elle se traduit par «Make America Great Again» (MAGA), un slogan qui allie nostalgie nationaliste et protectionnisme agressif. D’où l’appétit du grand frère américain pour le Canada et le Groenland.
Trump prône un protectionnisme radical, défini comme le recours aux droits de douane et aux restrictions commerciales pour privilégier l’industrie américaine. Son argument : la mondialisation a pillé les États-Unis, générant des déficits commerciaux et une désindustrialisation. Cependant, les économistes soulignent que cette vision ignore des facteurs clés tels que l’automatisation et la productivité, et blâme injustement les partenaires commerciaux. Le risque est évident : répéter les erreurs de 1930, lorsque la loi Smoot-Hawley a aggravé la crise mondiale.
L’histoire nous met en garde contre les dangers de cette stratégie. En 1930, les droits de douane américains avaient déclenché des représailles mondiales, contractant le commerce international de 66 % et prolongeant la Grande Dépression. William McKinley, 25e président des Etats-Unis, devient spécialiste républicain des droits de douane protectionnistes qui selon lui apporteraient la prospérité. Avant son assassinat en 1901, William McKinley a changé de vision : “il vaut mieux commercer de manière amicale.”
Trump serait bien inspiré de faire de cet aphorisme de son lointain prédécesseur le cœur de sa politique commerciale. Car il en va de la prospérité de l’Amérique et du monde.
Rhétorique nationaliste et suprémaciste
«Le jour de la libération est arrivé», a proclamé Trump dans un discours musclé, expliquant que les pays imposant des taxes élevées sur les produits américains se verront appliquer des tarifs équivalents au minimum, voire plus élevés. A défaut d’accord bilatéral, tous les pays seront assujettis à 10% de droits de douane plancher, additionnels.
Pour le 47e président américain, cette approche, qu’il qualifie ironiquement de «gentille», est censée contraindre les pays ciblés à négocier, dans l’optique de conclure des accords commerciaux bilatéraux plus favorables aux Etats-Unis. Mais pour de nombreux pays en développement, cette politique pourrait fragiliser leurs industries exportatrices, souvent dépendantes de l’accès au marché américain.
Selon Josh Lipsky, directeur du GeoEconomics Center de l’Atlantic Council, ces droits de douane sont conçus pour jouer sur plusieurs tableaux : outil de pression diplomatique, levier budgétaire et mécanisme de réindustrialisation. «On demande à ces tarifs douaniers de faire beaucoup de choses : servir de levier de négociation, générer des milliers de milliards de dollars de revenus, et relocaliser la production. Mais c’est une stratégie à haut risque», met-il en garde. Pas sûr qu’il soit entendu par l’hôte de la Maison Blanche qui a récemment déclaré «qu’il se fichait de la hausse des prix que subiraient les ménages américains à la suite de ces droits de douane.»