Alors que le cinquième Sommet Finance in Common (FiCS) s’apprête à réunir, du 26 au 28 février 2025, les banques publiques de développement à Cape Town, Adama Mariko, Secrétaire général du Finance In Common Summit (FICS) et Directeur adjoint pour la mobilisation, les partenariats et la communication du Groupe AFD, décrypte les défis et opportunités de cette alliance mondiale. Innovation financière, inclusion, transition numérique et infrastructures durables : comment ces institutions inconnues du grand public façonnent-elles l’avenir du financement du développement ? Entretien.
AFRIMAG : Le cinquième Sommet Finance in Common (FICS) se tiendra bientôt à Cape Town, coorganisé par la DBSA et l’AIIB. Quelles sont les principales priorités du sommet de cette année, et comment Finance in Common compte-t-il y contribuer ?
Adama Mariko : Cette année, le Sommet FICS met l’accent sur trois grandes priorités. D’abord, l’innovation dans le financement du développement national mais aussi de l’action climatique et du développement durable. Il est crucial d’explorer de nouveaux outils et mécanismes pour mobiliser plus de capitaux et accélérer la transition écologique tout en favorisant la croissance économique.
Ensuite, nous allons insister sur la finance inclusive et l’investissement à impact social. Réduire les inégalités passe par un meilleur accès aux financements pour les populations vulnérables et les petites entreprises, et par des investissements qui créent des opportunités économiques durables.
Enfin, un autre sujet clé sera le financement des infrastructures numériques. Le digital étant un levier puissant pour favoriser l’inclusion sociale et réduire la fracture numérique, en particulier dans les pays émergents.
AFRIMAG : Le thème de cette édition est « Favoriser les infrastructures et la finance pour une croissance juste et durable. » Quels sont les enjeux spécifiques qui seront abordés en relation avec ce thème, notamment pour les pays en développement ?
Adama Mariko : Cette édition mettra en lumière les défis liés aux solutions financières et à la qualité des financements destinés aux pays en développement. L’accent sera mis sur le rôle des acteurs privés et publics, notamment les banques publiques nationales, dans le soutien d’une croissance équitable et durable. Au-delà d’une réponse au besoin d’investissement, ces solutions tiendront compte des derniers standards internationaux en matière de financement, incluant l’adaptation au changement climatique pour construire des infrastructures plus résilientes que les précédentes. L’objectif ultime étant d’investir plus qualitativement et plus durablement.
Parlant de la qualité du financement, la question qui se pose est la suivante : y a-t-il suffisamment de projets aujourd’hui qui permettent de mobiliser les ressources privées et publiques ? Dans ce contexte, nous allons porter notre attention sur le rôle d’origination joué par les banques publiques de développement dans la création et la structuration des projets pour garantir, au-delà de leur qualité, leur rentabilité.
AFRIMAG : L’accent du sommet sera mis sur la finance inclusive, la transformation numérique et les infrastructures pour l’action climatique. Quelles solutions concrètes Finance in Common envisage-t-il de promouvoir dans ces domaines ?
Adama Mariko : Finance in Common se positionne comme un catalyseur pour mobiliser les financements en faveur d’infrastructures résilientes, en intégrant pleinement les principes de durabilité et de soutenabilité. Le Sommet qui se tiendra au Cap vise à soutenir cette nouvelle vague d’investissements, pour garantir la mise en place d’infrastructures adaptées aux défis climatiques, tout en favorisant un développement inclusif et équitable.
Sur la transformation numérique, l’Afrique présente une dynamique paradoxale. Le continent est à la pointe de l’usage des technologies mobiles dans les services financiers, avec un taux de pénétration du téléphone mobile extrêmement élevé et un essor remarquable des solutions de paiement digital comme Orange Money, Wave et les wallets numériques. Pourtant, la fragmentation numérique demeure un enjeu majeur.
L’Afrique bénéficie d’une opportunité unique, celle de pouvoir sauter certaines étapes technologiques et adopter directement des solutions de pointe sans avoir à remplacer des infrastructures intermédiaires existantes, comme ce fut le cas en Europe avec la transition du filaire au mobile, puis à la fibre. Il est donc crucial d’accélérer l’accès aux technologies numériques, car elles constituent un levier économique puissant. L’accélération de l’accès au numérique est de ce fait un enjeu clé, puisqu’il constitue un puissant moteur de croissance.
Les banques publiques réunies dans Finance in Common accompagnent cette transformation en soutenant les entrepreneurs et startups technologiques, qui sont à la fois des créateurs d’emplois et des fournisseurs de solutions adaptées aux réalités locales. Nous constatons également le renforcement de l’efficacité des banques publiques en facilitant la digitalisation de leurs processus, notamment via des plateformes numériques qui permettent de partager et d’originer des projets. Enfin, nous encourageons l’inclusion financière et digitale en soutenant des innovations technologiques à fort impact, comme l’usage de l’intelligence artificielle pour accompagner les agriculteurs, pêcheurs et éleveurs. Par exemple, dans le cadre du projet NAFOOREproposé par l’entreprise Jokalante au Sénégal soutenu par le Fonds d’Innovation pour le Développement, l’on pourra grâce à un simple téléphone mobile, prendre une photo de ses cultures et recevoir des conseils adaptés, dans sa langue maternelle, sur la gestion des maladies ou des récoltes via la radio, les SMS, les réseaux sociaux ou encore les appels vocaux. Ces solutions, financées et incubées par les banques publiques, permettent d’accélérer l’accès aux services essentiels dans les zones reculées et de favoriser un développement plus inclusif.
AFRIMAG : En tant que responsable des partenariats à l’AFD, comment travaillez-vous avec d’autres banques publiques de développement pour aligner leurs stratégies sur les Objectifs de Développement Durable (ODD) et l’Accord de Paris sur le climat ?
Adama Mariko : L’AFD collabore étroitement avec les banques publiques de développement, qui forment une véritable communauté de pratique, partageant des objectifs communs. Aujourd’hui, environ 20 % de l’activité du groupe se fait avec des banques publiques à travers le monde. Il est important de rappeler que les partenariats entre banques publiques de développement existaient bien avant même la création de FiCS, avec des associations régionales structurées avec lesquelles collabore l’AFD, en Asie, en Afrique, en Europe et en Amérique latine. Créé par le directeur général de l’AFD Rémy Rioux, Finance en Commun est venue fédérer ces différentes communautés en rassemblant des institutions qui partagent une vision commune. Nous rassemblons ces acteurs en facilitant le partage de connaissances, l’harmonisation des pratiques et le cofinancement, notamment avec les banques nationales, essentielles pour assurer l’adéquation avec les priorités nationales.
L’alignement avec les ODD et l’Accord de Paris ne repose pas uniquement sur les financements, mais aussi sur leur qualité. L’accompagnement technique joue un rôle clé pour aider les banques à intégrer ces objectifs dans leur stratégie. Grâce à cette coopération et à l’engagement croissant des institutions financières publiques, les investissements deviennent plus durables et inclusifs.
AFRIMAG : Le rôle des banques de développement publiques (BPD) dans la durabilité financière semble croître. Comment Finance in Common s’assure-t-il que ces banques jouent un rôle central dans la transformation des systèmes financiers mondiaux ?
Adama Mariko : Pendant longtemps, le rôle des banques publiques de développement a été méconnu ou oublié dans le système financier international, souvent perçu comme polarisé entre les budgets publics des États et le secteur privé, représenté par les banques commerciales et les marchés de capitaux. Or, les banques publiques jouent un rôle bien plus significatif qu’on ne le pense : elles représentent un total de 23 000 milliards de dollars d’actifs à l’échelle mondiale et injectent chaque année environ 2 500 milliards de dollars dans l’économie, soit plus de 10 % du financement annuel mondial. Ce poids financier leur confère une position stratégique entre les États et le secteur privé, leur permettant d’agir comme un véritable levier pour orienter les investissements vers des modèles plus durables et responsables.
Finance in Common œuvre à fédérer cette communauté pour maximiser leur impact. L’objectif est de renforcer notre rôle en tant qu’acteurs clés de la transition. Nous facilitons le partage des meilleures pratiques, la coordination des stratégies et l’innovation en matière d’instruments financiers. Cette dynamique collective permet ainsi d’accélérer la transformation des systèmes financiers mondiaux, en Afrique et ailleurs.
AFRIMAG : La Development Bank of South Africa (DBSA) et l’Asian Infrastructure Investment Bank (AIIB) ont un partenariat renforcé pour ce sommet. En quoi cette collaboration Afrique-Asie est-elle essentielle pour faire face aux défis mondiaux du développement durable ?
Adama Mariko : Le Sommet Finance in Common est un événement global qui a vocation à rassembler les banques publiques de développement du monde entier. Depuis sa création, il s’est tenu en Europe, en Asie et en Amérique latine, chaque édition bénéficiant de collaborations stratégiques entre des banques multilatérales et nationales, notamment celles du pays hôte. À ce titre, je tiens à remercier nos partenaires des quatre précédentes éditions : la Cassa Depositi e Prestiti, l’International Fund for Agricultural Development (IFAD) en 2021, la Banque Africaine de Développement (BAD), la Banque Européenne d’Investissement (BEI) en 2022, ainsi que les banques d’Amérique latine, BID, CAF et Bancoldex, qui ont accueilli l’édition précédente qui s’est tenue en 2023 en Colombie.
Cette année, la spécificité du sommet repose sur une collaboration renforcée entre trois institutions majeures du financement régional et international, la DBSA et l’AIIB, avec le soutien de l’Agence Française de Développement. Dans un monde qui se polarise, cette alliance illustre parfaitement la vocation de Finance in Common : fédérer une communauté de banques responsables qui placent le partenariat au cœur de leur action et s’engagent ensemble pour soutenir un multilatéralisme renforcé. Ce sommet est soutenu par 25 autres institutions qui le financent à des degrés différents.
L’engagement des banques publiques est crucial, car elles soutiennent à la fois les stratégies de développement national et la protection des biens publics mondiaux ; en unissant leurs forces, comme la DBSA, l’AIIB et l’AFD lors de ce sommet, elles renforcent leur impact sur le financement du développement durable.
Le choix de l’Afrique du Sud pour cette édition est également symbolique, car en plus de présider le G20, le pays incarne les défis et opportunités du développement durable et du continent africain. Cette année marque un tournant, notamment avec la réforme FfD4 (Financing for Development) prévue en juin, qui survient 20 ans après les discussions sur l’efficacité de l’aide, 10 ans après l’adoption des ODD et l’Accord de Paris, ainsi que le programme d’action d’Addis-Abeba sur le financement du développement.
AFRIMAG : Le FiCS rassemble plus de 530 institutions financières publiques à travers le monde. Quels sont les défis et les avantages de coordonner des actions avec un réseau aussi large et diversifié ?
Adama Mariko : L’un des principaux avantages du FiCS est qu’il repose sur une coalition fondée sur l’égalité et la coopération, et non sur des logiques de domination ou de parts de marché. Chaque banque a une voix, indépendamment de sa taille ou de ses capacités financières. C’est un véritable modèle de multilatéralisme où toutes les institutions, qu’elles soient grandes ou petites, ont une place équivalente dans les discussions et la production de solutions.
Le défi principal réside dans l’alignement des visions, notamment dans un contexte géopolitique en constante évolution. Cependant, les banques publiques de développement sont relativement préservées de ces tensions, car leur mission reste fondamentalement la même, qu’elles opèrent en France, au Brésil, en Italie ou au Laos. Leur rôle est d’améliorer les conditions de vie des populations qu’elles servent en finançant ce que personne d’autre ne finance et en créant des opportunités là où il n’y en a pas. Cette mission partagée facilite grandement le travail de coordination et renforce l’alignement des objectifs.
Par ailleurs, la coordination est rendue plus aisée par le fait que ces institutions sont déjà organisées en réseaux régionaux bien structurés. Finance in Common n’a finalement été que l’aboutissement naturel de partenariats existant depuis plusieurs décennies.
AFRIMAG : La mobilisation des ressources pour les pays en développement reste un défi majeur. Quelles innovations ou approches Finance in Common envisage-t-il pour mieux mobiliser des financements à grande échelle pour les projets durables ?
Adama Mariko : Tout d’abord, il est essentiel de saluer la capacité des banques publiques de développement à innover et à soutenir l’innovation. Depuis le Sommet de Carthagène en 2023, nous avons lancé un laboratoire qui active pleinement ce potentiel d’innovation, en collaboration avec la Banque interaméricaine de développement (BID) et Climate Policy Initiative (CPI). Cela s’inscrit dans la mission du FiCS Lab, qui offre une plateforme favorisant la collaboration entre les banques publiques de développement, pour mobiliser davantage de capitaux privés et renforcer le financement climatique, notamment dans les marchés émergents et les économies en développement.
Cette année, nous poursuivons cet engagement avec le FiCS Innovation Lab, qui soutient et incube des projets proposant des solutions financières novatrices, comme le financement en monnaie locale, le crédit carbone et la biodiversité, avec des institutions telles que la Bahamas Development Bank et la DBSA. Nous favorisons également des solutions systémiques à grande échelle, comme l’utilisation des droits de tirage spéciaux (DTS), pour renforcer la capacité des banques publiques à collaborer et maximiser leur impact dans l’atteinte des ODD.
AFRIMAG : Comment l’AFD utilise-t-elle sa position pour sensibiliser et impliquer davantage les parties prenantes dans les enjeux de la finance durable à l’échelle mondiale ?
Adama Mariko : L’Agence Française de Développement a joué un rôle clé dans la création de Finance in Common, et coopère de longue date avec de nombreuses banques publiques de développement. C’est un axe stratégique de notre projet d’orientation stratégique, qui met l’accent sur la mobilisation, car l’AFD ne peut pas agir seule.
Nous agissons sur plusieurs fronts pour une finance plus durable : d’abord, en cofinançant des projets avec d’autres banques publiques afin de mutualiser les ressources et éviter de travailler en silo. Nous soutenons aussi des initiatives comme Finance in Common pour encourager une meilleure intégration du secteur privé. En parallèle, nous mobilisons des acteurs variés comme les ONG, les entreprises et les collectivités locales, pour aligner leurs actions en faveur d’une finance plus efficace et durable.
À l’AFD, tous nos financements sont alignés sur l’Accord de Paris et les ODD. Chaque projet est évalué selon son impact climatique et social, et seuls ceux qui respectent ces critères sont financés. Nous avons développé une méthodologie partagée avec d’autres banques et institutions multilatérales pour garantir cet alignement, et nous travaillons à diffuser ces standards dans le secteur afin d’assurer une transition juste et durable à l’échelle mondiale.
AFRIMAG : Quels sont les projets phares soutenus par l’AFD qui contribuent à la transition énergétique et au développement des infrastructures résilientes dans la région Afrique ?
Adama Mariko : Notre grande fierté actuellement, c’est notre engagement dans la Mission 300, un projet ambitieux mené en partenariat avec la Banque africaine de développement, la Banque mondiale et d’autres banques multilatérales. L’objectif est clair : connecter 300 millions de personnes à l’électricité en Afrique d’ici à 2030. Pour cela, l’AFD s’est engagé à hauteur d’1 milliard d’euros (1,04 milliard de dollars) sur cette période.
C’est un projet structurant qui s’inscrit pleinement dans notre mission de financement des infrastructures durables et de soutien à la transition énergétique sur le continent. Parce que sans accès à une énergie fiable et abordable, il est difficile de parler de développement économique, d’éducation ou encore d’industrialisation.
Entretien réalisé par Anthioumane D. Tandia