Et de cinq ! Les militaires burkinabè ont décidé, eux aussi, de « goûter à la sauce » pouvoir en écourtant le deuxième mandat du Président démocratiquement élu Roch Marc Christian Kaboré. La Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) s’insurge et «décrète» la suspension de ce pays, comme elle l’a fait pour d’autres où des officiers supérieurs avaient décidé de mettre un terme à des pouvoirs civils «démocratiquement» élus.
C’est en fait la répétition de scenarii vécus ces derniers mois au Mali (18 août 2020 et 24 mai 2021), au Tchad (où Déby fils, général de 37 ans, a succédé à Déby père, maréchal, tué au combat contre les rebelles, le 20 avril 2021), au Soudan, avec une junte qui refuse le partage du pouvoir avec les civils, et en Guinée où le colonel Doumbouya a déposé, le 5 septembre 2021, le président Alpha Condé qui, même avec des velléités dictatoriales de plus en plus évidentes, avait quand même un mandat à finir.
Le retour en force des coups d’État en Afrique est, en réalité, un naufrage collectif pour tout le continent. C’est un aveu d’échec pour l’Union africaine (UA) et d’impuissance pour la communauté internationale (ONU).
Les militaires qui ont failli à leur véritable mission, celle de défendre l’intégrité de leurs pays contre les extrémistes de l’État islamique, d’Al Qaeda et de Boko Haram, cherchent alors refuge dans la politique censée pourtant être le domaine réservé des civils !
Le manque de fermeté face aux coups d’État a ouvert la boîte de Pandore avec ses effets boomerang. Ses effets pervers ! Parce qu’on a laissé faire au Mali (et en Mauritanie, en 2009, considérée comme l’acte fondateur de ces retours de putschs), d’autres militaires roublards ont pensé que «tout est permis» ! L’exercice de la démocratie est hypothéqué par des armées fainéantes et dévoyées. Les populations, victimes des tiraillements entre les militaires et les politiques ne savent plus à quel saint se vouer. Elles ne sont même plus en droit d’attendre la délivrance par une communauté internationale qui se bat, depuis trois ans, contre une terrible pandémie du Covid-19. Au lieu de faire face à ce Mal du siècle en mobilisant les ressources nécessaires pour en atténuer l’impact sur des populations déjà fragilisées par la pauvreté, les nouveaux gouvernants échafaudent des plans pour faire durer des «transitions» qui, par nature, devraient être très courtes !
Les questions pressantes du développement de l’Afrique sont remises à plus tard par ces «transitions» qui sont du temps perdu. Elles le sont plus quand les juntes essayent de ruser en jouant aux prolongations. Alors qu’au Mali et au Soudan, les militaires gagnent du temps et s’inscrivent dans la durée, au Tchad, en Guinée et maintenant au Burkina Faso, on ne donne pas d’engagements fermes sur la durée des transitions qui sont alors de véritables sauts vers l’inconnu.
Ces coups d’Etat qui bénéficient d’une impunité totale sont la preuve a contrario de ce que disait René Dumont dans son livre «L’Afrique noire est mal partie». Sans une tradition démocratique bien ancrée, il n’y a point de développement.
D’aucuns commencent à penser, sérieusement, à un droit d’intervention militaire, au nom de l’Onu, pour protéger la volonté des peuples exprimée par les urnes, quand il y a un minimum de transparence et de respect du nombre de mandats constitutionnellement établis. Certes, les interventions conduites dans certains pays (Irak, Libye, Syrie) avaient un soupçon de guerre froide, mais c’est loin d’être le cas dans d’autres où les enjeux démocratiques priment sur les considérations géostratégiques.
Le commencement était à Haïti, le 19 septembre 1994, quand les Etats-Unis, avec l’aval du Conseil de Sécurité des Nations Unies, lancent l’opération «Restaurer la démocratie». Pour la première fois, une intervention est ainsi justifiée, sous l’égide de l’ONU, par la nécessité de rétablir la démocratie dans un pays. 16.000 soldats débarquent en Haïti et, le 15 octobre, le président Aristide, renversé trois ans plus tôt par un coup d’Etat sanglant, rentre dans son pays. Le 15 mars 1995, la Mission des Nations Unies en Haïti (Minuha) prend le relais des forces américaines.
En ce sens, le cas d’Haïti est révélateur du rôle croissant que tend à jouer l’Onu (à l’instar de quelques autres organisations régionales) dans l’accompagnement des démocratisations, à travers notamment la surveillance d’élections ou dans le cadre d’opérations plus lourdes comme les missions polyvalentes de maintien de la paix. L’action de l’Onu sur les questions politiques (incluant la défense des droits de l’homme) remonte, en Haïti, aux dernières années du duvaliérisme et s’inscrit donc dans un moment particulier de l’histoire sociopolitique du pays.
La spécificité de cette trajectoire est, à maints égards, irréductible. En même temps, pour qui essaie de comprendre l’intervention onusienne dans une perspective interactionniste, elle laisse apparaître des processus très comparables à d’autres expériences similaires, ce qui explique également l’intérêt du cas haïtien, dans une démarche comparative, à cette résurgence des coups d’Etat en Afrique. L’application aux pays africains en crise de démocratie d’une nouvelle «ingénierie politique» internationale ne pourrait cependant pas se faire, sans épuiser toutes les voies de recours entreprises au plan sous-régional (CEDEAO) et régional (UA). Si une intervention militaire, menée au nom de l’une de ces deux institutions, réussit à restaurer la démocratie, sans conséquences fâcheuses, elle pourrait alors servir de dissuasion à d’autres tentations (tentatives) de putschs.
Par Sneiba Mohamed
Photo : Le Colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba, le Président de la Transition burkinabè