- La triple bataille des agricultrices africaines
- L’agricultrice africaine, «l’Homme à tout faire» !
- Entretien – Hassina Moukhariq, Directrice Développement International – Fondation OCP
La femme est l’incontestable couteau suisse de l’agriculture africaine. Du labour de la terre à la commercialisation en passant par la récolte, l’agricultrice est sur tous les fronts dans ce secteur vital pour l’emploi et le niveau de vie des communautés sur le continent. Pour qu’elle participe encore plus à la création des richesses et à l’autonomisation des communautés, il faudra lui reconnaître le droit d’accès aux terres agricoles que des soi-disant coutumes et traditions empêchent. Mais certains pays précurseurs ont fait bouger les lignes.
Contrairement aux apparences, la junte masculine constitue une petite minorité de la force de travail dans l’agriculture africaine, de l’Afrique de l’Ouest à l’Afrique australe. Les femmes représentent en effet plus de 70% de la main-d’œuvre agricole sur le continent, confirme une étude de la Banque africaine de développement et d’ONU Femmes. Ce sont en majorité les femmes qui tiennent le pilotage des exploitations agricoles familiales, sans se voir reconnaître les droits que leur confère cette position. Des soi-disant coutumes et des pesanteurs culturelles d’un autre âge, freinent leur participation économique sur un pied d’égalité avec les hommes. L’injustice qu’elles subissent encore aujourd’hui en matière d’accès au foncier lors de l’héritage est une illustration parfaite.
Les droits fonciers des femmes sont essentiels pour leur autonomisation, la réduction de la pauvreté et la résilience climatique. L’accès à la terre peut servir à garantir l’accès aux financements qui sont affectés à l’agriculture ou au développement d’activités et peut contribuer à élargir les débouchés économiques des femmes. La prise de conscience progresse comme l’ont rappelé récemment des responsables de la Commission de l’Union africaine au cours de la cinquième Conférence sur la politique foncière en Afrique tenue du 21 au 24 novembre derniers à Addis-Abeba : «Si les pays africains créent des politiques de gouvernance foncière innovantes et de bonne qualité qui favorisent un accès équitable à la terre et créent un environnement propice aux investissements, cela libérera le potentiel productif du continent.»
Les mots ne suffiront pas, il va falloir bouger les lignes par des actes concrets et la volonté politique, conviennent des experts et des dirigeants d’ONG partenaires engagés dans le développement sur le continent. La bonne nouvelle est qu’à la faveur de l’implication des organisations internationales et des grandes entreprises via leurs fondations, des progrès ont été enregistrés ces dernières années dans la législation en vue d’améliorer l’accès des femmes à la terre en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale. Cependant, la plupart des femmes n’ont concrètement aucun pouvoir de gestion des terres, car celui-ci relève souvent de systèmes fonciers coutumiers, est soumis à des dynamiques sociales discriminatoires et est caractérisé par un manque de participation des femmes dans la gouvernance foncière.
La propriété foncière, un préalable à l’accès au financement
Le renforcement de l’accès à la propriété et de la sécurité foncière des femmes peut renforcer davantage leur capacité de production et leur permettre d’accéder aux financements débouchant sur des innovations dans l’agriculture intelligente face au climat. L’enjeu d’une agriculture résiliente est crucial notamment dans une région comme le Sahel où les changements climatiques ont entraîné un dérèglement de la boussole des saisons et exacerbé l’irrégularité des précipitations. C’est d’ailleurs un des axes majeurs des partenaires engagés dans des programmes d’autonomisation de la femme agricultrice en Afrique comme le relève Hassina Moukhariq, Directrice du Développement international de la Fondation OCP (voir interview en pages 26 à 29) : «Les femmes travaillent la terre et elles transmettent aussi toute la connaissance autochtone des pratiques agricoles, transmises de générations en générations. Leur rôle est donc essentiel pour produire, à partir des terres africaines, l’alimentation des communautés. Mais ces terres ne leur appartenant pas, elles ont trouvé des alternatives pour contourner cet obstacle. En effet, les femmes restent solidaires et s’organisent en groupements pour pouvoir ensemble accroître leur production et conquérir de nouveaux marchés à des prix de vente mieux négociés.»
La quête de l’amélioration permanente de la production en quantité et en qualité valorisée est ce qui permet aux femmes d’améliorer leurs revenus et, par conséquent, leurs conditions de vie. «C’est là où la Fondation OCP intervient pour ancrer les bases solides de savoir, pour leur permettre de réussir dans l’entreprenariat», ajoute la Directrice du Développement international de la Fondation OCP.

Les lignes bougent dans plusieurs pays
Au Liberia, ONU Femmes a soutenu la rédaction et l’adoption de la loi sur les droits fonciers qui est l’une des législations les plus en pointe sur les droits fonciers en Afrique. Ainsi, les femmes peuvent participer à la gestion des terres et en être propriétaires de manière privée, conjointe ou collective, qu’elles soient mariées ou non. C’est la preuve que l’on peut faire évoluer les fameuses traditions en associant étroitement les chefs coutumiers et les chefs de villages.
Au Mali, les femmes ont souvent des droits temporaires d’utilisation des terres, qui leur sont facilement retirés. Pour y remédier, elles créent souvent des associations et se voient attribuer des terres pour leur usage collectif. C’est en s’appuyant sur cette pratique, un véritable «plan B» imaginé par les femmes, que la loi malienne sur les terres agricoles exige que 15 % des terres appartenant au domaine public soient attribuées à des associations de femmes. L’accès à la terre permet également d’accéder à d’autres moyens essentiels pour la production agricole. Au Sénégal, une circulaire du ministère de l’Agriculture et de l’Equipement rural a instauré la discrimination positive en faveur de la femme. Cette réglementation établit des quotas pour favoriser l’accès des femmes aux technologies (par exemple, 20% des engrais subventionnés, 10% des tracteurs subventionnés, 40% des financements et 20 % des projets de recherche agricole) et à l’eau (15% des eaux de surface et 20% des eaux souterraines sont attribuées aux femmes).
En République centrafricaine, les femmes exploitent souvent des parcelles familiales et ne détiennent aucun pouvoir en matière d’utilisation des terres. En cas de séparation (divorce), toute la production reste entre les mains du mari, une injustice inacceptable.
Après un plaidoyer et un travail d’approche des organisations internationales (PNUD, ONU Femmes, Banque mondiale) auprès des chefs coutumiers, des autorités pour réaménager les coutumes qui régissent l’accès à la terre, il a été décidé d’affecter plus de 500 hectares de terres à des associations d’agricultrices. Comme quoi, il n’y a pas de fatalité.