Longtemps considérés comme une escale vers l’Europe ou l’Asie, les Émirats arabes unis s’imposent désormais comme une destination à part entière pour les voyageurs africains. Porté par une stratégie multisectorielle, un volontarisme politique affirmé et une infrastructure moderne, le pays attire une clientèle continentale en quête d’opportunités, de confort et d’ascension. Décryptage d’une mutation silencieuse, mais structurante
La relation entre les Émirats arabes unis et le continent africain a profondément évolué au cours de la dernière décennie. Longtemps cantonnée aux investissements et au commerce, elle s’élargit désormais à des domaines immatériels comme l’innovation, la formation, la diplomatie culturelle et, de plus en plus, le tourisme. Dubaï et Abu Dhabi ne sont plus seulement des hubs de transit ou des vitrines de modernité. Ils deviennent des destinations à part entière pour une clientèle africaine variée, qui voit dans les Émirats un espace de projection économique, éducative ou personnelle.
Un changement d’échelle stratégique
En 2024, Dubaï a accueilli 18,7 millions de visiteurs internationaux, un chiffre en hausse de 9 % par rapport à 2023. Les données croisées des aéroports, des compagnies aériennes et des structures hôtelières confirment une progression constante de la fréquentation africaine, en particulier depuis l’Afrique de l’Est, l’Afrique australe et certaines capitales d’Afrique de l’Ouest. Ce dynamisme s’est maintenu malgré des restrictions de visas ponctuelles depuis 2023, notamment pour des pays comme le Sénégal, le Nigeria, la RDC ou le Bénin. Pourtant, les flux ont résisté. Ce qui témoigne non seulement de l’attractivité des Émirats, mais aussi de la solidité des liens entre les émirats et le continent africain.
Le cas de Madagascar illustre cette dynamique. Lors du Forum GEEP organisé à Antananarivo en octobre 2024, les Émirats ont réaffirmé leur partenariat stratégique avec la Grande Île, couvrant l’énergie, le numérique et le tourisme. Le lancement d’une ligne directe entre Antananarivo et Dubaï a rencontré un succès immédiat : en moins d’un mois, Emirates a sollicité un renforcement de la fréquence à cinq vols par semaine, dépassant de loin les prévisions initiales.
21 000 entreprises africaines enregistrées à Dubaï en 2024
Dans cette reconfiguration des flux Sud-Sud, Emirates Airlines joue un rôle structurant. En 2025, la compagnie nationale a consolidé sa présence en Afrique australe, avec notamment un renforcement des liaisons vers Johannesburg, et une stratégie d’expansion ciblée sur les capitales régionales. En parallèle, le hub de Dubaï est de plus en plus présenté comme un point d’entrée majeur vers l’Asie et l’Europe pour les voyageurs africains, à des conditions de confort, de ponctualité et de services qui surpassent parfois celles des concurrents traditionnels.
Mais cette transformation dépasse les infrastructures. Ce qui évolue profondément, c’est l’image des Émirats dans les imaginaires africains. Dubaï et Abu Dhabi ne sont plus perçus uniquement comme des symboles d’ultra-luxe. Ils deviennent des territoires de projection pour les jeunes professionnels, les entrepreneurs, les étudiants, les patients en quête de soins ou les familles aspirant à un ailleurs sécurisé et cosmopolite. La présence de plus de 21 000 entreprises africaines enregistrées à Dubaï en 2024 illustre ce basculement. Ce chiffre ne dit pas seulement la vitalité du commerce ; il signale l’émergence d’un véritable corridor d’échanges Sud-Sud, où les flux touristiques accompagnent, et renforcent, des dynamiques plus larges d’intégration économique et de mobilité des élites.
Des infrastructures au service de l’inclusion
L’attractivité croissante des Émirats arabes unis auprès des publics africains repose sur une double dynamique : une accessibilité territoriale renforcée et une transformation progressive de l’offre touristique. Longtemps centrée sur le luxe exclusif, l’hôtellerie émiratie s’est ouverte à une classe moyenne émergente en quête de confort, de sécurité et de reconnaissance. Dès 2023, Dubai Tourism a officialisé une stratégie de luxe abordable, misant sur des hôtels à moins de 100 dollars, des logements de courte durée et la valorisation de quartiers historiques comme Al Fahidi ou Deira. La gastronomie africaine y trouve une nouvelle visibilité, du Nigeria à l’Éthiopie, dans les festivals ou les grandes chaînes hôtelières. En 2024, les revenus hôteliers atteignent un record de 12,3 milliards de dollars, illustrant l’efficacité de ce repositionnement.
Les infrastructures de bien-être et de loisirs viennent appuyer cette diversification. Le projet Therme Dubai – Islands in the Sky, prévu pour 2028, ambitionne d’accueillir 1,7 million de visiteurs annuels autour d’une offre mêlant thermalisme, culture et immersion architecturale. De son côté, Abu Dhabi affirme ses ambitions : un plan de doublement de la fréquentation touristique d’ici 2030 vise 40 millions de visiteurs, avec un accent sur les segments moyen et haut de gamme, la mobilité, et un assouplissement des conditions d’entrée pour certains pays africains.
À plus grande échelle, les Émirats consolident leur rôle de hub intercontinental. Le nouvel aéroport Al Maktoum, en cours d’expansion, vise une capacité de 260 millions de passagers par an, et s’intègre dans une ville nouvelle de plus d’un million d’habitants, articulant infrastructures de transport, logements, commerce et tourisme. Ce projet de 28 milliards de livres sterling doit renforcer la position stratégique des Émirats entre l’Afrique, l’Asie et l’Europe — une interconnexion devenue clé pour les voyageurs africains, soucieux de fluidité et de stabilité.
Une diversification des leviers touristiques
L’un des atouts du modèle émirati tient à sa capacité à articuler différents registres d’attractivité — culture, sport, luxe ou innovation. Cette approche permet de capter des publics variés, du grand voyageur aux élites émergentes africaines. Le tourisme sportif en est un exemple structurant : en mars 2025, la Dubai World Cup a attiré 46 % de visiteurs étrangers, dont un nombre croissant venus d’Afrique de l’Ouest, séduits par un format associant compétition, hospitalité et mise en scène événementielle.
La culture expérientielle constitue un second pilier. Aux côtés du Louvre Abu Dhabi, l’émirat développe des projets immersifs comme la Sphère, future salle multimédia inspirée de Las Vegas, conçue pour un public jeune et connecté. Elle s’adresse aussi aux grandes métropoles africaines, où une génération mobile, familière des codes numériques, aspire à un tourisme de contenu autant que de forme.
Le secteur des jeux d’argent, longtemps exclu du paysage émirati, connaît lui aussi une évolution structurante. En 2023, la création d’une autorité fédérale de régulation des jeux commerciaux a posé les bases d’une ouverture encadrée. L’année suivante, en septembre 2024, MGM Resorts dépose officiellement une demande de licence pour implanter un casino à Abu Dhabi, après le précédent du Wynn Al Marjan Island à Ras el-Khaimah. Ce tournant stratégique vise une clientèle internationale hautement solvable, notamment issue des diasporas africaines installées en Europe, pour qui les Émirats pourraient devenir une alternative plus accessible et familière que Las Vegas ou Macao.
Enfin, les Émirats activent le levier diplomatique comme prolongement du tourisme. Le forum Africa Debate, accueilli à Dubaï en octobre 2024, et les salons sectoriels comme AIM Abu Dhabi, consacrés à la tech, à la finance ou à la durabilité, attirent chaque année des centaines de délégations africaines. Ce maillage fait du tourisme une interface concrète entre diplomatie économique, mobilité humaine et projection stratégique, à l’échelle Sud-Sud.