Dans cette interview exclusive, Bestine Kazadi, ministre déléguée auprès du ministre des Affaires étrangères en charge de la Coopération internationale et de la Francophonie de la République Démocratique du Congo (RDC), se livre sur les enjeux cruciaux auxquels son pays fait face, notamment la sécurité des ressources minières, l’autonomisation des femmes, et l’impact du sport sur l’image de la RDC à l’international. Elle nous dévoile également les priorités de son pays en matière de coopération internationale et la manière dont la RD Congo cherche à renforcer sa position dans la Francophonie, tout en naviguant à travers les défis diplomatiques et économiques mondiaux.
Entretien passionnant, – réalisé le 23 janvier, avant les récents événements survenus dans la région du Nord-Kivu, – avec une figure politique engagée, à la croisée de la diplomatie, des droits humains et du développement économique
AFRIMAG : Un récent rapport de l’ONU pointe l’exploitation illégale des ressources minières dans l’Est de la RDC. Quelles actions concrètes le gouvernement envisage-t-il pour mieux sécuriser les ressources minières et protéger les intérêts économiques du pays ?
Bestine Kazadi : L’exploitation illégale des ressources minières dans l’Est de la RDC exacerbe les effets dramatiques du conflit qui perdure dans la région. Plus de 7,5 millions de déplacés internes et plus de 6 millions de morts depuis le début du conflit : combien faudra-t-il encore de vies sacrifiées pour que le monde ouvre les yeux ?
Ce fléau est aussi une perte économique majeure pour le pays. Selon les experts de l’ONU, le M23 exporte environ 120 tonnes de coltan par mois et gagne environ 800.000 dollars par mois grâce aux taxes qu’il impose aux mineurs, commerçants et transporteurs.
Au-delà des efforts du gouvernement pour la sécurisation et la traçabilité des minerais, notre objectif est de transformer nos ressources sur place, plutôt que de les exporter à l’état brut. Développer les filières locales permet non seulement d’augmenter les retombées économiques pour le pays, mais aussi de créer des emplois et d’impliquer les communautés locales dans les projets miniers. Leur inclusion est essentielle pour une gestion durable et équitable des ressources. Les richesses de notre sol doivent cesser d’alimenter la guerre : elles doivent être le ciment de la paix et de la prospérité pour tous les Congolais !
AFRIMAG : Vous êtes à la fois avocate, écrivaine et engagée pour les droits des femmes. Comment parvenez-vous à concilier vos différentes passions et engagements et comment influencent-ils votre travail de ministre déléguée en charge de la Coopération internationale et la Francophonie ?
Bestine Kazadi : Ces engagements se sont révélés complémentaires et m’ont préparée à exercer ma fonction actuelle. La profession d’avocat m’a ancré dans les principes fondamentaux du droit et de la justice, indispensables pour analyser les besoins des populations et défendre leurs intérêts. Mon expérience aux côtés du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés dans l’Est de la RDC, notamment sur la vulgarisation des instruments juridiques du Code pénal concernant l’infraction du viol– utilisé comme arme de guerre – m’a profondément sensibilisée aux enjeux de protection et de dignité humaine.
J’ai été profondément marquée par ces femmes qui, malgré les horreurs qu’elles enduraient, choisissaient de ne pas sombrer dans la haine et continuaient à clamer haut et fort leur aspiration à la paix.
L’écriture, quant à elle, m’a appris à transmettre, à rendre visibles les injustices et à porter une voix collective, notamment celle des femmes. J’ai notamment eu l’honneur d’écrire «l’Hymne international des femmes pour la Paix» pour la troisième marche mondiale de la paix en 2010 à Bukavu et publié un recueil de poèmes intitulé «Infi(r)niment Femme.»
Que ce soit en matière de plaidoyer ou de coopération internationale, je reste guidée par une seule question : «comment cette action contribue-t-elle à améliorer la vie de nos populations ?»
AFRIMAG : Vous avez été la première femme à avoir présidé le club de football AS Vita Club. Selon vous, le sport peut-il jouer un rôle dans l’autonomisation des femmes et le renforcement du soft power de la République démocratique du Congo sur la scène internationale ?
Bestine Kazadi : Diriger un club aussi emblématique que l’AS Vita Club a été une grande fierté et une immense responsabilité. C’est un univers exigeant, et particulièrement masculin. Je considère que c’est aussi un message fort transmis aux jeunes femmes congolaises : tout est possible quand on le décide !
Quant au rôle du sport, il est indéniable : il transcende les frontières, rassemble les communautés et incarne des valeurs d’unité et de dépassement de soi. En RDC, nous devons encourager les femmes à s’investir dans le sport. Sur le plan international, le sport contribue également à la réelle image de notre pays : une RDC talentueuse et résistante !
AFRIMAG : Vous êtes engagée dans la promotion des droits des femmes. Comment voyez-vous l’avenir de la coopération internationale en matière de droits des femmes et quel rôle la RDC peut-elle jouer sur la scène mondiale ?
Bestine Kazadi : Il ne suffit plus de proclamer des intentions, le temps est à l’action ! Et l’action repose sur la mise en œuvre de projets concrets : accès des femmes à l’éducation, à la santé, à l’emploi et surtout aux instances de décision. Avoir une Première ministre femme est déjà une grande victoire, mais le chemin est encore long.
La coopération internationale doit aujourd’hui s’orienter vers des initiatives qui répondent aux réalités locales. En RDC, les femmes représentent plus de la moitié de la population et un pilier essentiel de l’économie informelle, mais elles restent sous-représentées dans les sphères décisionnelles. Notre priorité doit être de transformer leur contribution invisible en véritable moteur de développement. Sur la scène mondiale, la RDC doit faire entendre sa voix. Nos défis sont importants, mais notre résilience l’est tout autant. Les femmes congolaises, par leur courage face aux épreuves, incarnent cette force. En défendant une coopération internationale inclusive, nous pouvons promouvoir des initiatives concrètes pour l’autonomisation des femmes, notamment dans les pays du Sud.
AFRIMAG : Quelles sont les priorités actuelles de la RDC en matière de coopération internationale, et comment la RDC cherche-t-elle à renforcer ses relations avec les autres pays francophones ?
Bestine Kazadi : Nos priorités sont accordées aux besoins de nos populations et des ministères sectoriels servant les six engagements du Président de la République : accès à l’énergie, développement des infrastructures, diversification de l’économie et développement durable. Le projet du «corridor vert Kivu-Kinshasa», annoncé par le Président Félix Tshisekedi, reflète pleinement cette ambition. Il vise à protéger plus de 100 000 km² de forêts vierges, à générer 500 000 emplois, dont 20 000 pour les jeunes et les femmes démobilisés des groupes armés, et à acheminer annuellement 1 million de tonnes de nourriture vers Kinshasa.
Nous travaillons également à favoriser un cadre de coopération propice à la mobilisation de ressources extérieures. Nous avons mis en place des outils, tels qu’une cartographie de besoins des ministères par le ministère du Plan et Coordination de l’aide au développement ainsi que le «Portail Coop RDC» qui facilite la coordination entre nos partenaires, bailleurs et agences de développement.
Avec les pays francophones, nous partageons bien plus qu’une langue ou une histoire: nous partageons un grand potentiel économique. L’espace francophone représente 20 % des échanges commerciaux, 16% du PIB mondial et près de 400 milliards de dollars en échanges de biens dans les pays francophones. Il est temps d’en faire une véritable Francophonie des Affaires. La RDC, avec sa population la plus importante et ses immenses ressources naturelles, en est une force motrice.
AFRIMAG : La Francophonie se présente comme un espace culturel et diplomatique. Pensez-vous que la RDC y est suffisamment représentée ? En quoi cet espace est-il bénéfique au pays et à ses populations ?
Bestine Kazadi : En tant que pays francophone le plus peuplé, notre légitimité à jouer un rôle central au sein de la Francophonie est incontestable. La représentation de la RDC au sein de l’Organisation internationale de la Francophonie doit être renforcée pour refléter pleinement son poids démographique et faire entendre la voix des Congolais.
Cet espace est un des leviers que dispose la RDC pour sortir de l’isolement diplomatique et économique hérité du passé. Quitter cet espace ne ferait qu’enclaver davantage notre pays et éloigner des opportunités de coopération. Toutefois, il est évident que notre sous-représentation ne peut perdurer. La Francophonie de demain ne pourra pas exister sans la RDC !
AFRIMAG : Quels sont les principaux défis auxquels la RDC fait face en matière de coopération internationale, et comment le ministère que vous dirigez œuvre-t-il pour surmonter ces obstacles et attirer des partenariats bénéfiques pour le pays ?
Bestine Kazadi : L’un des principaux défis est de refléter l’image de la RDC sur la scène internationale à sa juste valeur. Trop souvent, notre pays est perçu à travers ses crises et ses vulnérabilités, alors qu’il regorge de potentiels économiques, humains et environnementaux.
Pour relever ce défi, nous misons sur la transparence, la réforme et une communication proactive. Nous avons intensifié nos efforts pour améliorer le climat des affaires et encourager les partenariats public-privé. Des missions économiques, récemment menées en Europe et Asie, permettent de présenter des projets concrets dans des secteurs clés tels que l’agro-industrie ou les énergies renouvelables.
AFRIMAG : L’Union européenne a récemment adopté le règlement «zéro déforestation», qui pourrait impacter les exportations agricoles de la RDC, notamment dans des secteurs comme le cacao et le café. Quelles mesures le gouvernement envisage-t-il pour limiter ces impacts et assurer la compétitivité de la RDC sur les marchés internationaux ?
Bestine Kazadi : Cela pose un véritable défi pour un pays comme le nôtre, où l’agriculture emploie plus de 70 % de notre population et nourrit des millions de familles. La préservation de nos forêts – couvrant plus de 150 millions d’hectares – est essentielle, mais cette transition ne peut être imposée de manière brutale et unilatérale : elle doit être équitable, adaptée à la réalité de nos populations !
Si l’Europe choisit de se désengager, d’autres acteurs mondiaux prendront rapidement leur place, et cela au détriment des ambitions environnementales globales. Nous avons mis en place des mécanismes de certification pour garantir que nos produits répondent aux exigences internationales. Nous encourageons également la diversification de nos filières agricoles et le développement local des chaînes de valeur, afin de limiter les pertes et de maximiser les bénéfices pour nos populations.
AFRIMAG : Le retour de Donald Trump à la présidence des États-Unis pourrait-il constituer un frein à la coopération bilatérale ? Comment anticipez-vous les potentielles répercussions sur les relations entre les États-Unis et la RDC ?
Bestine Kazadi : La nouvelle administration devra saisir l’opportunité de renforcer la coopération entre nos deux nations. Notre approche reste fondée sur le dialogue, la diversification des partenariats et le développement de projets concrets et durables, à l’image du corridor de Lobito que représente une opportunité majeure pour la connectivité régionale et internationale. Quelle que soit la situation, la RDC continuera à défendre ses intérêts avec pragmatisme et détermination.