- DOSSIER : Changement climatique : Le secteur de l’aérien, coupable ou bouc-émissaire des écologistes ?
- Entretien : Jean-Louis Baroux, Président du World Connect by APG
- Entretien : Abderahmane Berthé Secrétaire général de l’Association des compagnies aériennes africaines
Président-fondateur d’APG, leader mondial de fournitures de services aux compagnies aériennes, et créateur du Canne Airlines Forum et d’APG World Connect, Jean-Louis Baroux est un expert aérien reconnu au niveau mondial. Auteur également de plusieurs ouvrages sur le transport aérien dont “Compagnies aériennes, la faillite du modèle” ou “Transport aérien.
Ces vérités que l’on vous cache”…, il revient dans cette interview sur le phénomène qui semble être à la mode, l’«avion-bashing». Cette tendance des écologistes à accuser le secteur aérien de nombreux maux (bruit, pollution,) alors qu’il ne représente que 2% des émissions mondiales de CO2.
«Le transport aérien est pour le moment la cible des écologistes fondamentalistes car cela permet de belles images et une communication»
AFRIMAG : Le thème de la 14ème édition du World Connect à Monaco : «More than ever the air transport is still fundamental», traduisez : «Plus que jamais le transport aérien reste fondamental», n’est pas un choix au hasard. Quel message voudriez-vous passer auprès des décideurs ?
Jean-Louis Baroux : Le transport aérien est pour le moment la cible des écologistes fondamentalistes car cela permet de belles images et une communication, certes très professionnelle, qui atteint les couches de populations jeunes, désireuses de préserver la planète dans laquelle elles devront bien vivre et qui seront aux commandes de l’économie dans 10 ou 15 ans. C’est un enjeu crucial. Dans le même temps, il n’est pas possible d’imaginer un monde sans transport aérien, tout comme il n’est pas possible de l’imaginer sans moyens de communication : Internet, les téléphones portables, ou les réseaux sociaux. Il convient donc d’imaginer comment le transport aérien peut s’insérer dans l’imaginaire des générations futures, comment il justifie sa place et comment un monde sans transport aérien régresserait inévitablement. Voilà l’enjeu du 14ème World Connect by APG.
AFRIMAG : Pensez-vous que cette 14ème édition est un endroit où décideurs politiques, avionneurs, compagnies aériennes, écologistes doivent se retrouver pour redéfinir le futur du transport aérien ?
Jean-Louis Baroux : Au fond il n’y a pas beaucoup d’événements où les décisionnaires du secteur peuvent discuter librement de leur avenir, partager les nouveautés technologiques et réfléchir sur leurs difficultés actuelles. Il est frappant de constater que, pour deux jours de conférences et d’échanges, plus de 450 participants viennent de 89 pays pour échanger et essayer de trouver dans quelle direction doit aller le transport aérien futur. Les formidables efforts faits par les participants afin de venir au World Connect by APG montrent combien ils sont soucieux de l’avenir de leur secteur d’activité.
AFRIMAG : Quel jugement porteriez-vous sur les mesures environnementales à l’encontre du transport aérien introduites par certains décideurs, aux manettes au niveau des politiques publiques, dont le seul calcul est d’éviter d’être marginalisés politiquement ?
Jean-Louis Baroux : Il est frappant de voir comment les gouvernements prennent des décisions uniquement pour des questions électorales. Pour le moment le transport aérien est jugé polluant, cher, et réservé à une toute partie de la population alors que la majorité n’y a pas accès. Tout cela est faux. Le transport aérien a été plus que largement démocratisé au point que beaucoup de billets sont vendus au-dessous des tarifs des trains, et largement en dessous des coûts de la voiture. Seulement le transport aérien ne sait pas encore faire un lobbying efficace pour démontrer aux gouvernements et à la classe politique en général qu’il est un facteur de paix, de prospérité et finalement de progrès écologique. Il reste encore beaucoup à faire dans ce domaine
AFRIMAG : Quels impacts cela a sur le transport aérien ?
Jean-Louis Baroux: Pour le moment, l’impact écologique reste encore limité, cependant on commence à voir les effets pernicieux d’une écologie débridée. Certains aéroports sont dans l’obligation de restreindre leurs plages d’ouverture, on oblige des transporteurs à ne plus desservir les lignes pour lesquelles le rail peut être utilisé en moins de 2 heures 30, sans regarder l’impact écologique que cela peut entraîner. Mais sait-on qu’en moins de trente ans le niveau de bruit a été diminué par 5 dans les approches aéroportuaires, que la consommation de carburation a été divisée par deux et que la sécurité des vols est proche de la perfection, le tout en développant le nombre dessertes si utiles pour développer les échanges économiques et personnels? Comment rapprocher les familles, acheminer rapidement les médicaments, signer des contrats qui au final permettent la création de milliers d’emplois sans le transport aérien ?
AFRIMAG : Pour la neutralité carbone, il n’échappe plus à personne de la comparaison qui est faite entre le transport aérien et le ferroviaire. Est-ce que géographiquement au niveau local, mais surtout du rapprochement des longues distances, cette comparaison a un sens ?
Jean-Louis Baroux : Dans certains pays occidentaux, le train est devenu le moyen de transport de référence écologique. Cela est dû à une infrastructure construite depuis le milieu du 19ème siècle et dont à l’époque et même de nos jours personne ne mesure l’impact écologique. Pour autant les 4/5èmes de la planète ne disposent pas d’une capacité de transport économique suffisante par les moyens terrestres. Il reste que le transport aérien est de loin celui qui est à la fois le plus économique, le plus sécurisé et finalement le plus écologique et immédiatement disponible. Construire un petit aéroport et une piste convenable coûte infiniment moins cher que créer une voie ferrée ou routière et c’est infiniment plus rentable y compris sur l’aspect écologique par rapport au service rendu.
AFRIMAG : Pour le financement de la décarbonation du transport aérien, auriez-vous des propositions concrètes à communiquer aux décideurs politiques ?
Jean-Louis Baroux : Il est clair que l’accès à la décarbonation du transport aérien va coûter des investissements colossaux, probablement plusieurs centaines de milliards de dollars. Les clients paieront par une augmentation régulière et importante du prix des billets. Il est possible aux transporteurs de collecter ces sommes et de les reverser à des centres de recherche identifiés. Il reste à créer le premier véritable « Think Tank » dédié à la décarbonation du transport aérien, capable de collecter les fonds nécessaires et de les redistribuer aux centres de recherches dédiés au transport aérien et non de subventionner un mode de transport concurrent. Moins les politiques s’en mêleront et mieux ce sera..
AFRIMAG : Comment expliquer le niveau fulgurant des commandes d’avions par les compagnies aériennes au niveau mondial alors même que l’avion est indexé de tous les dégâts causés à l’environnement par les écologistes ?
Jean-Louis Baroux : C’est étrange. Les grosses commandes d’avions dans les années 1970/1990 se chiffraient par dizaines d’appareils. On en est maintenant à des centaines et pourquoi pas des milliers ! Actuellement plus de 15.000 appareils ont été commandés auprès des constructeurs. Ils seront livrés jusqu’en 2035, sans compter les nouvelles commandes qui arrivent chaque semaine. Les appareils ont une durée de vie de l’ordre de 30 ans soit deux fois la durée de vie de la génération précédente. Aurons-nous besoin de tous ces appareils, les aéroports pourront-ils tous les accueillir, les populations vont-elles les accepter ? Voilà des questions qui se posent au regard de l’actuelle frénésie de commandes.
AFRIMAG : Comment les compagnies aériennes africaines se positionnent-elles sur ce chantier de la décarbonation? Ont-elles accusé du retard par rapport à leurs homologues occidentaux ou asiatiques ?
Jean-Louis Baroux : On n’a pas pour le moment l’impression que les transporteurs africains soient mobilisés quant à la décarbonation du transport aérien. Cela est dû sans doute à l’état actuel des compagnies aériennes qui n’ont pas encore atteint, sauf pour Ethiopian Airlines, Royal Air Maroc et Egyptair, voire Kenya Airways la dimension nécessaire pour se poser ce type de questions. Pour le moment les compagnies africaines sont dans la phase de construction de leur réseau. Cela changera dans quelques années.