Face à une dette insoutenable et des défis économiques exacerbés par la pandémie de Covid-19 et des tensions géopolitiques mondiales, le Ghana a entrepris une restructuration historique de sa dette. Dans cette interview, Ibrahim Magassa, Président d’Algest Investment Bank et conseiller financier et stratégique de la République du Ghana, un des artisans de la restructuration économique, revient sur les stratégies adoptées pour stabiliser l’économie et renouer avec la croissance. Il détaille également les leçons apprises et les perspectives pour le Ghana, offrant des pistes de réflexion pour d’autres pays africains dans des situations similaires. Entretien
AFRIMAG : En 2017, le Président ghanéen, Nana Akufo-Addo, avait déclaré vouloir rompre avec les institutions de Bretton Woods, notamment le FMI. Que s’est-il passé pour que le Ghana se retrouve aujourd’hui confronté à une dette insoutenable ?
Ibrahim Magassa : Ces dernières années, les défis

économiques mondiaux, associés à des vulnérabilités préexistantes, ont conduit un nombre record de pays à un endettement insoutenable. Les déficits fiscaux élevés, le niveau de la dette publique du Ghana, ainsi que les effets combinés de la pandémie de Covid-19, de la guerre en Ukraine et du resserrement de la politique monétaire mondiale, ont causé de graves problèmes macro-financiers qui ont entraîné une baisse de la confiance des investisseurs internationaux, entraînant une perte d’accès aux marchés internationaux.
La monnaie ghanéenne, le Cedi, a subi une dépréciation de 54,2 % face au dollar américain au 23 novembre 2022, contre 4,1 % à la fin du mois de décembre 2021. La dépréciation du cedi a entraîné des taux d’inflation élevés sur le marché local. En octobre 2022, l’inflation a bondi à 40,4 % en glissement annuel, sous l’effet de la hausse des prix des denrées alimentaires et des carburants. L’inflation pour les articles produits localement était de 39,1 %, tandis que pour les articles importés, elle était de 43,7 %.
La dette du Ghana, atteignant 88 % du PIB et près de la moitié des ressources budgétaires en 2022 consacrées uniquement aux paiements d’intérêts, a été jugée insoutenable. En juillet 2022, le gouvernement ghanéen a officiellement demandé un programme soutenu par le FMI afin d’appuyer les efforts du pays pour atteindre la viabilité de la dette à long terme. Celui-ci a été approuvé par le Conseil d’administration du FMI en 2023. En décembre 2022, le Ghana a lancé une restructuration complète de sa dette, qui s’est achevée avec succès en octobre 2024.
Les politiques décisives d’assainissement budgétaire et monétaire ont effectivement stabilisé l’économie. C’est cette action politique décisive qui a eu un impact positif immédiat et durable sur l’économie nationale et qui a donné au marché la confiance nécessaire pour accélérer le processus de restructuration. Une consolidation fiscale plus stricte et des politiques monétaires plus rigoureuses ont permis d’atteindre une croissance de 2,9 % en 2023. En outre, l’inflation est tombée à 23,2 % en décembre, contre un pic de 54,1 % en 2022. L’assainissement budgétaire a également progressé avec une réduction de 7,9 % des dépenses.
AFRIMAG : Comment le Ghana a-t-il mené à bien ce processus de restructuration et quelles ont été les clés de vos négociations avec les créanciers internationaux ?
Ibrahim Magassa : L’achèvement de la restructuration de la dette du Ghana est une réalisation historique qui ouvre une phase de reprise économique et de croissance. L’accord réduira l’encours de la dette ghanéenne de 5 milliards de dollars – soit une décote de 37 %, la plus importante de toutes les restructurations africaines – et apportera un allègement de trésorerie de 4,4 milliards de dollars au cours des deux prochaines années.
Le fait que cet accord ait été conclu en seulement deux ans témoigne de la volonté du Ghana, de ses créanciers privés et officiels et des institutions internationales de s’engager de manière productive et transparente.
Le gouvernement a fait le travail rigoureux de mettre de l’ordre dans ses affaires, en mettant en œuvre un programme de réformes économiques propres au pays, conformément au programme du FMI, afin de stabiliser l’économie, et en s’attaquant à la dette intérieure grâce à une restructuration réussie.
Une consolidation fiscale plus stricte, des politiques monétaires plus rigoureuses et des améliorations de la gouvernance ont permis d’atteindre une croissance de 2,9 % en 2023, tandis que l’inflation est tombée à 23,2% en décembre 2023, contre un pic de 54,1 % en 2022. Cette action politique décisive a donné au marché la confiance nécessaire pour accélérer le processus de restructuration, permettant ainsi un accord favorable entre le Ghana et ses créanciers. Le cas du Ghana montre que le rythme des restructurations peut s’accélérer au travers d’engagements proactif avec le FMI et le comité officiel des créanciers. Des discussions transparentes, honnêtes et diplomatiques avec les principaux créanciers ont contribué à faire de la négociation du Ghana la plus rapide à ce jour. Au cours de ces discussions les principales parties prenantes ont appris à se comprendre, à se faire confiance et à mener rapidement les négociations à un résultat mutuellement bénéfique.
AFRIMAG : Le Ghana a obtenu la plus importante réduction de dette dans une restructuration africaine. Quelles stratégies ont permis ce résultat et quels défis avez- vous rencontrés ?
Ibrahim Magassa : Un leadership décisif, une expertise technique et une volonté politique forte ont été cruciaux. Dans le cas du Ghana, le Président, Nana Akufo-Addo, a joué un rôle central dans la restructuration – il s’est constamment tenu au courant du processus et a veillé à ce que son gouvernement soit en mesure de réagir rapidement à une situation en évolution rapide. Sans les priorités, la concentration et le leadership du Président, la restructuration de la dette du Ghana aurait pris beaucoup plus de temps. Le Chef de l’Etat a également joué un rôle diplomatique essentiel en veillant à ce que son pays reste en communication régulière avec ses créanciers officiels, en particulier la France et la Chine, ainsi qu’avec le Club de Paris et d’autres institutions financières internationales.
Durant le processus de restructuration de la dette, nous avons vu très clairement les défis posés par des bureaucraties inefficaces et lentes ainsi que la tendance de celles-ci à entraver les progrès. Il y a souvent un décalage important entre les calendriers des gouvernements et ceux de leurs créanciers.
Par exemple, pour les créanciers, une semaine est une longue période de restriction de transactions, pendant que les détails des nouvelles obligations sont finalisés dans le cadre de pourparlers à huis clos – mais pour les gouvernements, une semaine est un délai très court pour parvenir à une décision politique majeure. Faire en sorte que le gouvernement ghanéen puisse évoluer à la vitesse du marché a été l’un des plus grands défis et l’un des plus grands enseignements pour d’autres pays en situation de surendettement ou désireux d’accéder aux marchés financiers internationaux.
AFRIMAG : Comment le Ghana a-t-il transformé ses défis économiques en opportunités de renforcement de sa stabilité financière ?
Ibrahim Magassa : Le Ghana est depuis longtemps un exemple de développement réussi et l’un des principaux moteurs de l’économie ouest-africaine, ainsi qu’un phare de la démocratie et de la stabilité dans la région.
Malgré ces atouts, le surendettement a freiné le pays. Il l’a empêché d’attirer des capitaux étrangers et d’investir dans le développement humain et la dynamisation de secteurs-clés. Tout au long du processus de restructuration, le Ghana a donné la priorité aux réformes économiques qui, non seulement stabiliseraient l’économie, mais permettraient également une croissance plus forte et plus inclusive, apportant de nouveaux emplois et de nouvelles opportunités au peuple. Par exemple, le gouvernement a mis en place des politiques visant à rendre le pays plus attrayant pour les entreprises et les investisseurs. Ces politiques visent à renforcer la transparence et la gouvernance, à attirer les Investissements Directs Etrangers et à améliorer la compétitivité des exportations et l’intégration dans les chaînes de valeur mondiales. Le Ghana travaille actuellement avec la Banque mondiale à l’introduction d’une nouvelle loi sur l’investissement qui créera un cadre juridique plus prévisible et plus solide.
Le gouvernement a introduit des réformes essentielles pour garantir la viabilité de la dette à long terme. Il renforce la surveillance de l’émission de dette par les entreprises publiques et d’autres entités publiques et numérise la gestion de la dette pour améliorer la transparence et l’efficacité. La priorité est de s’assurer que tous les paiements de la dette sont effectués à temps, afin que le pays ne soit en face d’une restructuration future, ce qui nuirait à la confiance du marché obtenue dans le cadre d’un travail sérieux et dur. Ces réformes ont contribué à renforcer la confiance de nos partenaires privés et internationaux et montrent que le Ghana planifie la stabilité budgétaire à long terme et la croissance durable.
AFRIMAG : Quels enseignements cette restructuration offre-t-elle aux autres pays émergents, notamment africains ?
Ibrahim Magassa : Le cas ghanéen prouve que le cadre commun du G20 est opérationnel et qu’un engagement constructif avec les créanciers peut accélérer les restructurations. D’autres pays africains peuvent s’inspirer de cette expérience, en adoptant une démarche rapide, décisive et en impliquant des experts locaux pour faciliter les processus de négociation comme ce fut le cas aussi de la Zambie, du Tchad et de l’Ethiopie.
AFRIMAG : Quelles sont les prochaines étapes pour assurer une reprise économique durable et le retour du Ghana sur les marchés financiers ?
Ibrahim Magassa : L’achèvement de la restructuration de la dette ghanéenne a permis à l’économie de prendre un tournant ; le Ghana est maintenant de retour sur le marché financier international.
La réputation du pays en tant que centre d’affaires régional majeur est déjà en train de rebondir, avec le retour dans le pays d’entreprises et d’investisseurs internationaux de premier plan. Le Ghana cherche à consolider cette nouvelle stabilité financière et à ouvrir ses portes aux opportunités internationales, en capitalisant sur les bénéfices de la restructuration de la dette pour investir dans le peuple ghanéen, le capital humain et le développement d’industries clés.
AFRIMAG : Quel rôle ont joué le FMI et la Banque mondiale dans cette restructuration ?
Ibrahim Magassa : Le gouvernement ghanéen, ses créanciers bilatéraux et les institutions internationales telles que le FMI et la Banque mondiale ont travaillé en étroite collaboration et en toute bonne foi afin d’obtenir le meilleur résultat possible pour le Ghana et ses détenteurs d’obligations. Cette attitude constructive nous a aidés à franchir la ligne d’arrivée.
L’expérience du Ghana avec tous ses partenaires internationaux montre que, grâce à des discussions proactives et à une transparence totale, la communauté financière internationale peut jouer un rôle essentiel en aidant les pays obérés de dettes à résoudre leur problème de surendettement et à renouer avec la stabilité et la croissance économiques, dans un délai plus court.
AFRIMAG : Voyez-vous des innovations financières pour prévenir de futurs épisodes de surendettement en Afrique ?
Ibrahim Magassa : Des mesures peuvent être prises pour atténuer le problème du surendettement sur le continent africain, tant au niveau national qu’international.
Comme indiqué plus haut, le Ghana a mis en œuvre des réformes visant à renforcer le contrôle des dépenses et des emprunts, à réduire les inefficacités et les fuites et à améliorer la transparence afin de se prémunir contre les risques futurs de surendettement. La numérisation des processus budgétaires et de passation des marchés peut également jouer un rôle important pour ouvrir la voie à la viabilité de la dette à long terme. D’autres pays peuvent adopter des réformes nationales similaires pour mieux se prémunir contre l’accumulation de niveaux d’endettement insoutenables. Toutefois, le problème structurel de l’accès des pays africains à des financements abordables et concessionnels doit être résolu au niveau mondial. Des discussions sont en cours et des signes de progrès sont perceptibles, mais nous devons aller plus vite pour garantir que les pays africains ne paient pas des primes injustement élevées sur la dette privée, en raison d’une perception biaisée du risque sur le continent.