À huit mois de l’élection du nouveau président ou de la nouvelle présidente qui remplacera le nigérian Akinwumi Adesina à la tête de la Banque africaine de développement (BAD), les prétendants à la présidence de l’institution panafricaine ont déjà entamé leurs opérations de séduction auprès des actionnaires pour engranger des soutiens. Si l’élection du prochain président de la BAD n’aura lieu qu’en mai 2025, le lobbying a déjà commencé. Qui sont ces prétendants à la succession d’Akinwumi Adesina ?

Le 29 mai prochain, le Conseil des gouverneurs de la Banque africaine de développement (BAD), constitué des représentants des 81 pays membres, qui sont habituellement les ministres des Finances et du Plan ou des gouverneurs de banques centrales, ou de leurs suppléants dûment désignés, élira un nouveau président pour succéder au nigérian Akinwumi Adesina, dont le second mandat touche à sa fin. Les candidatures sont ouvertes depuis le 1er septembre dernier et seront clôturées le 31 janvier 2025 (voir calendrier en 9 dates clés).
Déjà candidats déclarés
Plusieurs figures se préparent. Abbas Mahamat Tolli, ancien gouverneur de la Banque des États de l’Afrique centrale (BEAC) et originaire du Tchad, a officialisé sa candidature en mars dernier. Cousin du président tchadien Mahamat Idriss Déby Itno, il peut compter sur ce dernier qui manœuvre depuis pour placer son candidat à la présidence de la BAD.
Le ministre de l’Economie et des Finances du Bénin, Romuald Wadagni, se porte aussi candidat à la succession d’Akinwumi Adesina. Entré au gouvernement en 2016 en tant que ministre de l’Économie et des Finances, Romuald Wadagni est promu ministre d’État, en mai 2021, en charge du même portefeuille. De 2018 à 2020, il a présidé le Conseil des ministres de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), où il a conduit la réforme historique du Franc CFA. Depuis 2018, il a été désigné trois fois «meilleur ministre des Finances d’Afrique.»
Du côté du Sénégal, le président, Bassirou Diomaye Faye, investi officiellement le 2 avril, se devait d’arbitrer entre deux postulants sénégalais au poste de président de la BAD : Diop N’Sele, actuelle vice-présidente des finances de la banque et Amadou Hott, ancien ministre sous Macky Sall. Il a finalement choisi d’apporter son soutien à Hott qui bénéficie aussi du soutien du président sortant de la BAD, Akinwumi Adesina pour avoir été son envoyé spécial avant d’être nommé en avril 2019 ministre de l’Économie, du Plan et de la Coopération internationale du Sénégal. L’économiste et banquier d’affaires est même retourné à la BAD, en 2022, après avoir perdu son portefeuille ministériel.
Rabah Arezki, économiste franco-algérien et ancien chef économiste de la BAD, pourrait également se lancer, d’après certaines sources.
La Communauté de Développement de l’Afrique Australe (SADC) a aussi son candidat. Elle a désigné le Dr. Samuel Munzele Maimbo comme son candidat officiel pour l’élection à la présidence de la Banque africaine de développement. Cette décision a été prise le 17 août à Harare au Zimbabwe lors du 44e sommet ordinaire des chefs d’Etats et de gouvernement de la SADC (Southern African Development Community ou Communauté de développement de l’Afrique australe).
Originaire de la Zambie, Maimbo a près de 30 ans d’expérience dans le développement, les marchés financiers et la planification stratégique. Il est, depuis le 1er juillet 2023, vice-président du budget, de l’évaluation des performances et de la planification stratégique de la Banque mondiale.
Si d’ici le 31 janvier prochain, date de clôture des candidatures, d’autres candidats pourront se lancer dans la course, ceux qui se sont prononcés pour l’heure, ont tous le soutien de leur gouvernement respectif.
Le successeur d’Adesina héritera des solides résultats
Dans une Afrique dont la dette cumulée a atteint environ 640 milliards de dollars, le successeur d’Akinwumi Adesina aura aussi pour défis les questions du dérèglement climatique, l’insécurité alimentaire…
Autre enjeu de cette présidence de la BAD, la formation des jeunes africains et leur employabilité. Mais il faudra attendre l’automne prochain pour s’enquérir de la vision de chaque candidat sur la gouvernance.
Il faut souligner aussi que la BAD a enregistré de solides résultats sous la présidence d’Adesina, en maintenant une situation financière saine et une note de crédit «AAA.» En janvier 2024, la banque a émis une obligation durable de 2 milliards de dollars US, toujours notée «AAA» par les grandes agences de notation.
Le poids des actionnaires non régionaux et le choix du prochain président
En effet, selon plusieurs experts, les processus de diligence de la BAD sont rigoureux, les décaissements étant soumis à une évaluation basée sur la viabilité des projets et les limites de prêts par pays. «L’obtention de la note «AAA» repose sur des critères stricts qui évaluent non seulement les performances financières de la banque, mais aussi sa gestion des risques et sa gouvernance», estime l’un d’entre eux. Récemment, Anthony Blinken, Secrétaire d’État américain, a félicité la banque lors d’une visite à son siège à Abidjan. Pour rappel, les Etats-Unis sont le deuxième actionnaire de la BAD après le Nigeria.
Cet épisode ravive le débat sur l’influence des actionnaires non régionaux dans la banque et sur le choix du prochain président. De nombreux dirigeants africains plaident pour réduire cette influence. Les candidats devront donc convaincre ces actionnaires non régionaux, qui auront un rôle déterminant dans l’élection.
La BAD a parfois été critiquée par certains pays francophones pour privilégier l’Afrique anglophone. Cependant, la direction de la banque souligne que la majorité de ses employés sont francophones et que les financements profitent largement aux pays non anglophones.
Ces élections seront déterminantes, car la BAD joue un rôle crucial dans le développement économique de l’Afrique.
Le calendrier en 9 dates clés
- 1er juillet 2024 : Appel à candidatures adressé par le Secrétaire général de la Banque à tous les gouverneurs ;
- 31 janvier 2025, à 17 h au plus tard, heure d’Abidjan : date et heure limites de réception des candidatures ;
- 11-13 février 2025 : vérification de la conformité des candidatures individuelles par le Comité directeur du Conseil des gouverneurs pour l’élection à la fonction de président de la Banque ;
- 21 février 2025 : arrêté et publication de la liste des candidats dûment enregistrés et communication de cette liste au Conseil des gouverneurs ;
- 21 février 2025 : invitation adressée à chacun des candidats pour soumettre une déclaration écrite énonçant sa vision pour la Banque dans les deux langues de travail de l’institution (anglais et français) ;
- 21 mars 2025, à 17 h au plus tard, heure d’Abidjan : date et heure limites de réception des déclarations écrites de la vision des candidats ;
- 22 avril 2025, à 17 h au plus tard, heure d’Abidjan : date et heure limites de soumission au secrétariat général des questions adressées par les gouverneurs aux candidats à la fonction de président de la Banque ;
- 28 mai 2025, au cours de l’Assemblée annuelle du Conseil des gouverneurs : conversation entre le Conseil des gouverneurs et chaque candidat ;
- 29 mai 2025, au cours de l’Assemblée annuelle du Conseil des gouverneurs : élection à la fonction de président de la Banque.
Les profils des prétendants
Romuald Wadagni (Bénin)
Au poste du ministre des Finances et de l’Économie depuis 2016, Romuald Wadagni aura marqué de son empreinte l’économie béninoise. Il lui a permis d’être compétitive et d’avoir un taux de croissance en hausse. On se rappellera qu’il a remboursé avant échéance une grande partie de la dette nationale. Mais bien avant cela, sous son leadership, le Bénin a réussi sa première obligation de 260 millions d’euros sur les marchés internationaux. Puis, les nombreuses réformes économiques initiées par le chef du département des Finances et de l’Économie ont valu aujourd’hui au Bénin d’être un marché d’investissement qui rassure les partenaires financiers. C’est dans ce cadre que le FMI s’est dit satisfait de sa «résilience économique.» Auréolé de ses succès économiques, le Bénin ne figure plus sur la liste des 25 pays les plus pauvres du monde sur décision du FMI.
Lauréat de la Harvard Business School (USA) et de l’Ecole Supérieure des Affaires de Grenoble (France), diplômé en expertise comptable, Romuald Wadagni a d’abord servi dans les entreprises françaises (Paris, Lyon), américaine (Boston, New York) et en Afrique (Deloitte) avant de poser ses valises à Cotonou. Dans la sous-région, le ministre a présidé le Conseil statutaire des ministres des Finances de l’UEMOA. Sous son magistère, il a initié la création d’une monnaie commune «plus autonome».
Abbas Mahamat Tolli (Tchad)
Adoubé par la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC), le candidat tchadien à la présidence de la BAD peut aussi compter sur le président Mahamat Idriss Déby Itno qui déploie un activisme sans précédent pour placer son cousin sur l’échiquier.
Et comme argument de campagne, Mahamat Idriss Déby Itno mise sur le fait qu’aucun ressortissant de la CEMAC n’avait jamais occupé la présidence de la BAD pour d’abord rallier ses compères d’Afrique centrale à sa cause, avant d’élargir son appel au soutien à tous les membres.
Après avoir obtenu l’aval de la CEMAC, Abbas Mahamat Tolli devra conquérir les voix de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC). Ce bloc régional plus étendu, englobant non seulement la CEMAC, mais aussi l’Angola, Sao Tomé et Principe, la RD Congo, le Rwanda et le Burundi, sera un terrain crucial pour sa candidature.
Si Abbas Mahamat Tolli est élu, il deviendra le premier dirigeant originaire de la Cemac à prendre les rênes de cette institution panafricaine. Une responsabilité pour laquelle le tchadien ne manque pas d’atouts et d’ambitions. Avant de prendre la tête de la BEAC en 2017, le natif d’Abéché avait occupé les fonctions de président de Banque de développement des États de l’Afrique centrale (BDEAC) et de Secrétaire général de la COBAC, le gendarme bancaire de la Cemac.
Pour rappel, Abbas Mahamat Tolli qui a achevé en début d’année un mandat de sept ans en tant que gouverneur de la Banque des États de l’Afrique centrale (BEAC), a été le premier à officialiser sa candidature pour la présidence de la BAD, ouvrant ainsi la voie à cette nouvelle étape de sa carrière.

Amadou Hott (Sénégal)
Amadou Hott, ancien ministre de l’Économie, du Plan et de la Coopération internationale sous Macky Sall, se lance officiellement dans la course à la présidence de la Banque africaine de développement (BAD). Fort de son expérience et soutenu par des personnalités influentes, il aspire à prendre la tête de l’une des plus grandes institutions financières du continent africain. Sa candidature marque un tournant important pour les ambitions diplomatiques du Sénégal.
Le soutien d’Akinwumi Adesina, président sortant de la BAD, donne un poids supplémentaire à la candidature de Hott. Adesina, qui l’avait déjà nommé envoyé spécial avant sa nomination comme ministre en 2019, renforce ainsi la crédibilité et la visibilité de son dossier. Économiste et banquier d’affaires, Amadou Hott connaît bien la BAD. Après son départ du gouvernement en 2022, il a réintégré l’institution, consolidant son expertise et son réseau. Bien que cela ait marqué la fin de sa carrière ministérielle, ce retour a enrichi ses compétences en matière de développement économique et de financement.
Son dossier bénéficie également du soutien du président Bassirou Diomaye Faye, un autre appui crucial. Ce soutien national, combiné à celui d’Adesina, pourrait jouer un rôle déterminant dans sa candidature. Dans un contexte où la BAD cherche à maintenir sa position de leader dans le financement du développement en Afrique, Hott se présente comme un candidat expérimenté et crédible.
Cette candidature symbolise également l’espoir du Sénégal d’accroître sa représentation au sein des instances décisionnelles africaines. Avec son expérience et ses relations au sein de la BAD, Amadou Hott semble bien positionné pour remporter cette élection et contribuer de manière significative au développement économique du continent.
En 1992, il obtient son baccalauréat en mathématiques au lycée Seydina Limamoulaye à Guédiawaye2. Il s’inscrit ensuite à l’Université Strasbourg-I(anciennement l’Université Louis Pasteur de Strasbourg) où il obtient un Diplôme d’Etude Universitaire Générales (DEUG) Maths-Économie, puis un DEA en Finance des marchés financiers et gestion bancaire au Panthéon 1 à la Sorbonne avant de suivre les cours du Master en Mathématiques appliquées à l’Université de New York (NYU) dans le cadre d’un programme d’échange universitaire.

Dr. Samuel Munzele Maimbo (Zambie)
Dr. Samuel Munzele Maimbo, originaire de Zambie, a été désigné comme candidat officiel de la Communauté de Développement de l’Afrique Australe (SADC) pour l’élection à la présidence de la Banque Africaine de Développement (BAD), prévue en mai 2025. Cette décision a été entérinée lors du 44e sommet ordinaire des chefs d’État et de gouvernement de la SADC. Maimbo a été sélectionné à l’issue d’un processus compétitif parmi sept candidats de la région de la SADC», précise le communiqué de l’organisation. Le sommet a également appelé les 16 États membres de la SADC à soutenir activement la candidature de Maimbo.
Depuis juillet 2023, il occupe le poste de vice-président chargé du budget, de l’examen des performances et de la planification stratégique au sein du Groupe de la Banque mondiale. Dans ce rôle, Maimbo supervise le budget-programme annuel de la Banque mondiale et tous les fonds y compris le budget administratif pour les fonds du budget de la Banque (BB), fonds fiduciaires et fonds remboursables, garantissant que les ressources sont alignées sur les priorités stratégiques de l’institution, les objectifs de durabilité financière, les objectifs d’efficacité et les besoins commerciaux. Il est également le principal conseiller de l’équipe de direction de la Banque mondiale en matière d’allocation de gestion des ressources, dirige le processus de planification financière et d’examen des performances pour la stratégie pluriannuelle et les perspectives commerciales de l’institution, et veille à ce que l’institution fonctionne dans les limites du budget. Le Zambien possède près de 30 ans d’expérience dans les domaines du développement, des marchés financiers et de la planification stratégique. Avant d’occuper son poste actuel, il a été chef de cabinet des présidents de la Banque mondiale. Il a également été directeur du département de mobilisation des ressources de l’Association internationale de développement (IDA) et du département de financement d’entreprise de la Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) pendant un peu plus de deux ans, où il était responsable de la mise en œuvre du modèle financier hybride de l’IDA et de la politique des revenus de la BIRD et du financement des entreprises.

Rabah Arezki (Algérie)
Rabah Arezki qui attendait l’accord du gouvernement algérien a fini par obtenir le feu vert d’Alger. Directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) au sein du Centre d’études et de recherches sur le développement international (Cerdi), ce chercheur associé à la Harvard’s Kennedy School, est un ancien de la BAD. Il avait été nommé le 1er octobre 2020 au poste de Chef économiste et de vice-président, gouvernance économique et gestion des connaissances de l’institution panafricaine. Avant d’intégrer cette dernière, il occupait depuis 2017 le poste d’économiste en chef pour la région Moyen-Orient et Afrique du Nord à la Banque mondiale.
Au sein de cette institution, il a piloté la mise au point de l’approche «moonshot» de la Banque pour le Moyen-Orient et l’Afrique, qui vise à obtenir une connectivité complète à l’internet et au paiement numérique. Il s’est fait le champion de l’agenda sur la loyauté de la concurrence, et la transparence des données afin d’autonomiser et de libérer le potentiel des jeunes de la région.
Avant de rejoindre la Banque mondiale, Dr. Arezki a travaillé au Fonds monétaire international (FMI) de 2006 à 2017. Il a commencé sa carrière au FMI en tant qu’économiste et a été promu à la fonction de chef de l’unité des produits de base et de l’environnement au sein du département de la recherche. Il a piloté la formulation et la mise en œuvre de la réponse rapide du FMI à l’effondrement historique des cours du pétrole qui a commencé en 2014.
Dr. Arezki est maître de recherche à la John F. Kennedy School of Government del’Université de Harvard, associé de recherche externe à l’Université d’Oxford(Royaume-Uni), et chercheur au CESifo, un réseau mondial de recherche indépendant. Dr. Arezki est également une personne ressource du Consortium africain pour la recherche économique et un chercheur au Forum de recherche économique.
