Face à la hausse de la demande mondiale pour les minéraux critiques, essentiels à la transition énergétique et technologique, l’Afrique devient un acteur clé dans leur fourniture. L’Agence internationale de l’énergie (AIE) estime qu’il faudra près de 800 milliards de dollars d’ici 2040 pour extraire ces ressources. Le rapport «Shaping The Future of Minerals» du Future Minerals Forum, publié en novembre 2024, réévalue ces besoins en tenant compte de nouveaux facteurs. Les défis d’exploitation, de durabilité et de gouvernance seront déterminants pour l’Afrique

Les minéraux dits « critiques » sont au cœur de la transition énergétique mondiale et de l’innovation technologique. Utilisés dans la fabrication de batteries, d’équipements électroniques, et dans la production d’énergie renouvelable, ces minéraux, tels que le lithium, le cobalt, le nickel et les terres rares, sont devenus indispensables. Comme le souligne le Future Minerals Forum dans son rapport Shaping The Future of Minerals, « l’accès sécurisé et fiable aux minéraux critiques est désormais une priorité stratégique pour les gouvernements et les entreprises à l’échelle mondiale », publié en novembre dernier.
Le rapport met en évidence le fait que ces minéraux sont essentiels pour des secteurs comme la mobilité électrique, les énergies renouvelables, et les technologies numériques. L’importance de ces ressources va au-delà des frontières de l’industrie minière et touche directement les ambitions de décarbonisation mondiale, avec un objectif commun : « réduire la dépendance aux énergies fossiles et favoriser la transition vers une économie verte. »
L’étude menée sur les minéraux critiques anticipe qu’environ 5400 milliards de dollars d’investissements seront nécessaires d’ici 2035 pour soutenir la transition énergétique mondiale. Ces fonds sont jugés essentiels pour répondre à l’augmentation rapide de la demande de ressources stratégiques telles que le cobalt, le lithium, le nickel, les terres rares, qui sont indispensables aux technologies bas-carbone, en particulier dans les batteries pour véhicules électriques et les énergies renouvelables. L’objectif est de garantir un approvisionnement suffisant pour ces secteurs en pleine expansion.
Les investissements devront être répartis entre plusieurs axes, dont l’exploration, la transformation, ainsi que les infrastructures nécessaires pour soutenir ces industries. L’étude met en lumière une région géographique d’une importance stratégique, une «Super Région» incluant l’Afrique et une zone élargie englobant l’Asie centrale et occidentale. Cette zone serait un centre clé des dynamiques mondiales de la transition énergétique, détenant des réserves stratégiques. Selon les projections, cette région abriterait 59% des réserves mondiales de cobalt, 62% de manganèse et 67% de bauxite, des ressources cruciales pour les technologies propres.
Un continent riche, mais sous-exploité

Cependant, malgré la richesse en ressources naturelles dont dispose l’Afrique, le continent reste largement sous-exploité en comparaison avec d’autres régions telles que la Chine ou l’Amérique du Sud. En effet, la majorité des minéraux extraits quittent l’Afrique sous forme brute, un phénomène qui prive les économies locales de l’opportunité de créer des emplois et de générer des revenus significatifs. Par exemple, bien que le cobalt, un élément essentiel pour les batteries de véhicules électriques, soit largement extrait en République Démocratique du Congo (RDC) et dans d’autres pays africains, 80% du traitement mondial du cobalt se fait en dehors du continent. Ce constat met en évidence la dépendance excessive de l’Afrique à l’exportation de matières premières non transformées, qui pourrait être un frein à son développement économique.
Le rapport suggère que pour maximiser la valeur de ces ressources, il est impératif de promouvoir leur transformation au niveau local. Cela pourrait engendrer des milliers d’emplois dans des secteurs tels que la chimie, les matériaux avancés et les technologies vertes. De plus, ces activités industrielles généreraient des recettes fiscales importantes qui pourraient être réinvesties dans des projets d’infrastructures vitales, comme des écoles, des hôpitaux, des routes et des systèmes d’approvisionnement en eau, contribuant ainsi au développement social et économique de la région. L’Indonésie est citée en exemple dans ce contexte. Grâce à des politiques ambitieuses, ce pays est devenu un acteur majeur dans l’industrie du nickel, un minéral clé pour la fabrication de batteries, et son modèle démontre qu’une politique active de transformation locale peut avoir des effets économiques positifs.
D’un autre côté, l’étude souligne que l’Afrique, avec ses vastes ressources naturelles et sa proximité géographique avec les marchés européens et asiatiques, représente une alternative crédible à la domination de la Chine dans le domaine du raffinage et de la transformation des minéraux critiques. Cette situation inquiète particulièrement les grandes économies, qui redoutent une trop grande dépendance à l’égard de la Chine, non seulement pour l’approvisionnement en matières premières mais aussi pour la transformation et le raffinage de ces ressources. Ainsi, l’Afrique, en développant ses capacités de transformation, pourrait non seulement renforcer son propre secteur minier, mais aussi jouer un rôle stratégique dans la diversification de l’approvisionnement mondial.
Le rapport de Future Minerals Forum n’est pas le premier à souligner ces enjeux. L’Agence internationale de l’énergie (AIE), dans une analyse précédente, estimait qu’environ 800 milliards de dollars d’investissements seraient nécessaires d’ici 2040 pour répondre aux besoins d’extraction des minéraux critiques et atteindre les objectifs climatiques mondiaux. De plus, la valeur de marché des minéraux critiques pourrait plus que doubler, atteignant les 770 milliards de dollars d’ici 2050, si les investissements sont correctement orientés.
L’Afrique, qui possède environ 30% des réserves mondiales de minéraux critiques tels que le cuivre, le lithium, et le cobalt, pourrait jouer un rôle clé dans cette dynamique. Toutefois, malgré ce potentiel, l’Afrique n’a attiré que 35,6% des investissements directs étrangers destinés à l’extraction des minéraux critiques entre 2019 et 2023, et seulement 2,8% des investissements étrangers consacrés à leur transformation. Cette situation soulève des questions sur les obstacles structurels qui entravent le développement du secteur minier en Afrique, notamment les défis liés à la gouvernance, à l’infrastructure, et à l’instabilité politique dans certaines régions du continent.
Pour surmonter ces défis, des réformes et des politiques publiques ambitieuses seront nécessaires pour stimuler l’investissement et améliorer la capacité de transformation locale. En développant ces capacités, l’Afrique pourrait non seulement bénéficier d’une meilleure valorisation de ses ressources naturelles, mais aussi jouer un rôle clé dans la transition énergétique mondiale, en répondant à la demande croissante pour des minéraux critiques tout en soutenant son propre développement économique et social.
L’Afrique : un réservoir inestimable de minéraux critiques
L’Afrique est riche en ressources naturelles, et plus spécifiquement en minéraux critiques. Des pays comme la République Démocratique du Congo, le Zimbabwe et le Mali sont parmi les plus grands producteurs mondiaux de cobalt, de lithium et d’autres minéraux clés. La RDC, par exemple, détient plus de 60% des réserves mondiales de cobalt, un élément clé pour les batteries de véhicules électriques. Selon le rapport, « l’Afrique détient environ 40% des réserves mondiales de cobalt et de lithium, ce qui en fait un acteur incontournable dans la chaîne d’approvisionnement des minéraux critiques ».
Le Future Minerals Forum insiste sur le rôle croissant de l’Afrique dans la sécurisation de ces ressources : « La stabilité et la transparence des processus d’extraction en Afrique sont désormais des éléments clés pour les investisseurs internationaux et les chaînes d’approvisionnement mondiales. »
Les défis de l’exploitation des minéraux critiques en Afrique
L’exploitation des minéraux critiques en Afrique n’est pas sans défis. Les questions environnementales et sociales sont au cœur des préoccupations. Comme l’indique le rapport, « les conditions de travail et les impacts environnementaux restent des défis majeurs pour les pays africains producteurs de minéraux critiques ». L’exploitation minière est souvent associée à des pratiques destructrices de l’environnement, à la dégradation des écosystèmes et à des impacts négatifs sur les communautés locales. Le travail des enfants, les conditions de travail dangereuses et les conflits liés aux ressources sont également des réalités inquiétantes dans certaines régions, notamment en République Démocratique du Congo.
Le rapport du Future Minerals Forum appelle à une approche holistique, soulignant que « les pratiques minières responsables, associées à des politiques de gouvernance transparentes et à une collaboration entre les parties prenantes, sont essentielles pour garantir une exploitation durable des minéraux. » Les pays africains doivent prendre des mesures pour réduire ces risques, notamment par la mise en place de réglementations plus strictes et de mécanismes de traçabilité.
Les initiatives pour une exploitation responsable et durable
Face à ces défis, de nombreuses initiatives ont émergé pour garantir une exploitation plus responsable et durable des minéraux critiques en Afrique. Plusieurs organisations internationales, entreprises privées et gouvernements se sont engagés dans des programmes de certification et de traçabilité des chaînes d’approvisionnement afin de lutter contre l’exploitation illégale et de promouvoir une gestion plus transparente des ressources.
Le Future Minerals Forum mentionne des efforts de collaboration entre entreprises minières et gouvernements pour améliorer les conditions de travail et réduire l’impact environnemental des exploitations : « Les partenariats pour une meilleure traçabilité des chaînes d’approvisionnement et des investissements dans des technologies minières propres sont des pistes cruciales pour améliorer la durabilité de l’industrie ».
Par ailleurs, le rapport souligne l’importance de « l’alignement entre les politiques nationales et les objectifs mondiaux de développement durable » pour garantir que les revenus tirés de l’exploitation minière soient réinvestis dans les infrastructures locales, l’éducation, et la santé des communautés.
L’Afrique face à la montée de la demande mondiale et aux rivalités géopolitiques
Avec la montée en flèche de la demande pour les minéraux critiques, l’Afrique doit faire face à des rivalités géopolitiques croissantes. Les grandes puissances mondiales, telles que la Chine, l’Union Européenne et les États-Unis, cherchent toutes à sécuriser leur approvisionnement en minéraux rares. Le rapport met en avant ce phénomène en précisant : « Les nations riches en ressources, comme l’Afrique, deviennent des pièces maîtresses dans la stratégie énergétique et industrielle des grandes puissances mondiales ».
La Chine, en particulier, a investi massivement dans des infrastructures minières et a établi des relations stratégiques avec des pays africains riches en ressources. Le Future Minerals Forum avertit cependant que « l’Afrique doit veiller à ne pas devenir une simple source d’approvisionnement, mais à jouer un rôle actif dans la chaîne de valeur des minéraux critiques » (Future Minerals Forum, 2024). Les nations africaines doivent donc renforcer leur gouvernance et la gestion de leurs ressources pour éviter les risques d’exploitation abusive.
Les opportunités pour l’Afrique : développer une industrie minière locale et durable
Malgré ces défis, l’Afrique dispose également d’opportunités considérables. En plus de la simple extraction, les pays africains peuvent tirer parti de leur position pour développer une industrie locale de transformation des minéraux, créant ainsi de la valeur ajoutée et de l’emploi. Le Future Minerals Forum affirme que « le développement d’une industrie locale de transformation des minéraux critiques peut générer une croissance économique substantielle et offrir des opportunités de marché inédites pour l’Afrique ». L’Afrique pourrait ainsi transformer sa richesse minière en une industrie locale florissante.